__________________________________________________________________

Algèbre de groupe en caractéristique 1
et distances invariantes sur un groupe fini

Dominique Castella Stéphane Gaubert

7 Septembre, 2017 Dominique Castella
Université de la Réunion
Laboratoire d’Informatique et de Mathématiques, Pôle Technologique Universitaire,
97490 Sainte Clotilde, France
E-mail: dominique.castella@univ-reunion.fr,
Stéphane Gaubert
INRIA Saclay-Île-de France and CMAP,École Polythechnique, UMR 7641 CNRS
CMAP, Route de Saclay, 91128 Palaiseau Cedex, France
E-mail: Stephane.Gaubert@inria.fr Invariant metrics on a finite group arise in particular in statistics. They turn out to be closely related to the idempotent elements of the group algebra over the min-plus semifield. The central idempotents (corresponding to bi-invariant metrics) are given by the characters of linear representations of this group. We show that these characters can be obtained from irreducible characters, and more generally, that every idempotent has a unique decomposition as a sum of minimal idempotents. We characterize the minimal idempotents, and construct the irreducible characters from the conjugacy classes of the group. This shows in particular that all the invariant metrics are generated by a finite parametric family of invariant metrics, which are Cayley metrics of cyclic subgroups. The usual distances over Sn are easily recovered from this construction. These result partly carry over to infinite groups. Résumé . Les distances et plus généralement les métriques invariantes sur un groupe fini, utilisées en particulier en statistique, sont étroitement liées aux idempotents de l’algèbre du groupe sur le semi-corps idempotent des réels min-plus. Comme dans le cas classique, les idempotents centraux (qui correspondent aux distances bi-invariantes) sont donnés par les caractères de représentations linéaires de ce groupe. Nous montrons que ces caractères s’obtiennent encore à partir de caractères irréductibles et que plus généralement les idempotents admettent une décomposition unique en somme d’idempotents minimaux. Nous déterminons de façon explicite les idempotents minimaux et nous donnons de même la construction des caractères irréductibles à partir des classes de conjugaison du groupe. Ce travail conduit en particulier à la mise en valeur d’une famille finie de métriques invariantes, à valeurs entières, engendrant toutes les autres : ce sont les métriques de Cayley associées aux sous-groupes monogènes. Les distances usuelles sur Sn s’interprètent alors facilement dans cette construction. Ces résultats se généralisent en partie aux groupes infinis. 1 Introduction

Les métriques sur un ensemble fini ont été étudiées en combinatoire et en programmation linéaire (voir en particulier [CD79], [Avi80], [DP00], [DDP02] ou encore [BD92]). Elles interviennent notamment en analyse phylogénétique ([Bun74], ou [DT98] ou bien [DMT96]). La situation où l’ensemble est muni d’une structure de groupe et où la métrique est invariante (d’un côté ou des deux) apparaît en statistique, voir [Dia88] ou [Cri85], mais aussi en théorie des codes correcteurs. Ces métriques sont alors données par les fonctions longueurs sur le groupe. Les métriques invariantes sur le groupe symétrique Sn, qui incluent par exemple la distance de Hamming, ont été particulièrement étudiées. Nous renvoyons le lecteur à [DH98] pour un tour d’horizon.

Dans cet article, nous considérons les métriques sur un groupe du point de vue de l’algèbre tropicale : la construction de l’algèbre de groupe k[G] s’étend au cas où k est le semi-corps des réels min-plus, min. Ce dernier est constitué des éléments de {+} et muni de l’addition (a,b) min(a,b) et de la multiplication (a,b)a + b. des réels min-plus. La donnée d’une métrique, invariante d’un côté, équivaut alors à la donnée d’un idempotent de la semi-algèbre de groupe min[G], la donnée d’une métrique invariante des deux côtés à celle d’un idempotent central de cette algèbre. Ceci nous permet de traduire les questions de décomposition des métriques invariantes en termes d’algèbre de groupe, au sens tropical.

Dans le cas classique, l’étude de l’algèbre de groupe k[G] sur un corps k est équivalente à l’étude des représentations linéaires de ce groupe et les idempotents centraux sont donnés par les caractères à valeurs dans le corps. Ils sont donnés par les caractères irréductibles qui forment une base des fonctions centrales sur le groupe. Plus généralement, quand la caractéristique du corps ne divise pas l’ordre du groupe, les idempotents sont sommes d’idempotents minimaux correspondant à des sous-modules simples de l’algèbre de groupe (voir par exemple [Ser78], [CR81] ou [Ren75]).

Nous généralisons ici au cas tropical ces propriétés et, malgré des différences inévitables, nous obtenons des résultats assez similaires qui permettent de décrire les idempotents à partir d’idempotents "minimaux" et les idempotents centraux à l’aide de caractères irréductibles. Ceci permet de décomposer les distances invariantes sur un groupe comme infimum d’une famille de distances associées aux graphes de Cayley des sous-groupes cycliques.

Ces décompositions sont d’autre part étroitement liées à la structure du groupe et en particulier au problème de l’écriture minimale d’un groupe comme réunion de sous-groupes propres ([Bha09], [Coh94] ou [CMN08]).

2 Semi-algèbre de groupe sur un semi-corps idempotent.

2.1 Définitions

Les semi-corps idempotents apparaissent comme les "corps" de la caractéristique 1 et il est possible de développer une algèbre linéaire dans ce cadre; pour les généralités sur ces structures, on pourra se reporter à [But03] ou encore à [GP97], [CC10], [Gol99], [Les09] ou [Cas10] .

On définit sans difficultés la notion de module sur un tel semi-corps (voir par exemple [CGQ04]).

Dans toute la suite (k, +,×) désigne un semi-corps idempotent totalement ordonné pour la relation d’ordre induite par l’addition (a b si a + b = b); les éléments neutres respectifs de l’addition et de la multiplication seront notés 0k et 1k et G est un groupe fini.

On peut, comme dans le cas classique, considérer l’algèbre de groupe k[G], qui est le k-module libre de base G, la multiplication se déduisant par bilinéarité de la loi de G. On notera 1G l’élément neutre de G, qui est donc aussi l’élément unité de k[G].

k[G] est un semi-anneau idempotent, intègre (mais non simplifiable, puisque (1G + g)21 G + g2 pour g1G), non commutatif si G n’est pas abélien. On appellera support d’un élément x = gxgg k[G] la partie de G formée des éléments tels que xg0k, (notée supp(x)).

Un élément e k[G], e = gGχ(g)g est un idempotent (e = e2) si et seulement si la fonction associée χ, vérifie les égalités χ(g) = hGχ(h)χ(h1g) pour tout g G, c’est-à-dire si la fonction χ est idempotente pour le produit de convolution.

Dans la suite le terme idempotent sera utilisé au sens d’idempotent non nul.
On utilisera les deux fonctions suivantes de k[G] dans k :

Définition 1 Soit x = gGχ(g)g k[G] ; on lui associera les scalaires

M(x) = gGχ(g)

et

N(x) = gG,g1Gχ(g) .

Remarque 2 On vérifie par un simple calcul que pour tous x,y k[G],

M(xy) = M(x)M(y) .

Proposition 3 Un élément non nul e k[G], e = gGχ(g)g est un idempotent si et seulement si la fonction associée χ, vérifie χ(1G) = 1k ainsi que les inégalités χ(gh) χ(g)χ(h) pour tout (g,h) G2. χ(g) est alors nécessairement inférieur ou égal à 1k pour tout g G.

Démonstration L’inégalité χ(gh) χ(g)χ(h) résulte aussitôt de l’idempotence. Si e est idempotent, il vient M(e) = M(e)2, et donc M(e) = 0k ou M(e) = 1k. Le premier cas est exclu car on a supposé e0 et donc M(e) = 1k. Il en résulte que χ(g) 1k pour tout g G et que χ(h) = 1k pour au moins un h G. Comme hn = 1 G pour un certain entier n, il vient χ(1G) χ(h)n = 1 k et donc χ(1G) = 1k. Par ailleurs, les conditions énoncées dans la proposition sont trivialement suffisantes.

Remarque 4 Sur le semi-corps k = min des réels "min-plus", c’est à dire sur le semi-corps ( {+}, min, +), e = g(g)g est donc un idempotent si et seulement pour tout couple (g,h) d’éléments de G, (gh) (g) + (h), et (1G) = 1k = 0 ; est alors à valeurs positives et est une fonction longueur ( ou norme au sens de [Bat95]) sur G (non nécessairement symétrique), ou ce qui est équivalent, la fonction d, définie par d(g,h) = (g1h) est une métrique invariante à gauche.

Il est facile de voir que cette fonction d est une distance (finie) si et seulement si, pour tout élément de G, g1G, 0 < (g1) = (g) < +.

Les points dont la distance à l’élément neutre est finie forment un sous-groupe K de G et de même les points dont la distance à 1G est nulle forment un sous-groupe H; ces deux sous-groupes sont normaux si d est bi-invariante et dans ce cas la semi-métrique sur G provient donc d’une métrique sur le groupe quotient KH :

Lemme 5 Si e = gGχ(g)g est un idempotent d’un groupe fini G, l’ensemble des g G tels que χ(g) = 1k et l’ensemble des g G tels que χ(g) > 0k sont des sous-groupes de G.

Démonstration La fonction χ est idempotente, d’où : 1k χ(gh) χ(g)χ(h), pour tout couple (g,h) G2, ce qui prouve que H = χ1(1 k) et K = χ1(]0 k, 1k]) sont stables par produit et sont donc des sous-groupes (puisqu’ils contiennent l’élément neutre).

2.2 Idempotents indécomposables

Définition 6

Un idempotent e k[G] est dit indécomposable s’il n’est pas somme d’idempotents strictement plus petits (i.e. vérifie la condition : e = iei où les ei sont des idempotents, implique que e = ei, pour au moins un i).
On dira de même qu’une fonction de G dans k idempotente (pour le produit de convolution) est indécomposable si l’idempotent associé l’est, c’est-à-dire que, si elle est la somme d’autres fonctions idempotentes, elle doit être égale à l’une d’elles.

Proposition 7 Soit n l’ordre du groupe fini G. Pour tout x = gGxgg k[G], tel que M(x) 1k, on peut définir l’étoile de Kleene de x :
x = kxk = 0kn1xk et x est un idempotent de k[G].

Démonstration Cette série est stationnaire à partir du rang n 1 : le support de x est inclus dans le sous-groupe H d’ordre m n, engendré par le support de x. Toute décomposition minimale d’un élément de H en produit gi d’éléments du support de x, h = g1gk (i.e. avec k tel que les g1gs soient tous distincts pour s k), a donc au plus m 1 éléments et les autres décompositions ont des coefficients inférieurs puisque les xg sont plus petit que 1k.
Il est alors clair que x est bien idempotent.

Proposition 8 Soit G un groupe fini d’ordre n.
1) N(ef) = N(e) + N(f) pour tout couple d’idempotents de k[G].
2) A tout élément g1G de G, et tout λ k, λ 1k, on peut associer l’idempotent eλ,g = (λg) = 0n1(λg)k de k[G].
3) Si f = eλ,g, N(f) = λ.
Les idempotents eλ,g et eμ,h associés à deux éléments distincts g et h du groupe sont donc différents si 0 < λ < 1k ou 0 < μ < 1k.

Démonstration 1) En notant e = χ(g)g, f = ψ(g)g et ef = 𝜃(g)g, on a, pour g1G, 𝜃(g) = hk=gχ(h)ψ(k) N(e) + N(f). Comme e et f sont des idempotents 𝜃(g) χ(g)ψ(1G) + χ(1G)ψ(g) = χ(g) + ψ(g), d’où l’autre inégalité.

2) Ceci découle de la proposition précédente.

3) Comme λ 1k, il est immédiat que N((λg)) = λ; si eλ,g = eμ,h on a donc λ = μ et si 0 < λ < 1k, pour tout u G, u1G, ug, le coefficient de u est strictement inférieur à celui de g ce qui impose donc h = g.

Nous allons montrer que ces idempotents, qui se classent en familles indicées par [0k, 1k] dans k, attachées aux éléments de G, sont les idempotents indécomposables et permettent d’obtenir tous les idempotents de k[G] :

Proposition 9 Soit G un groupe fini d’ordre n. Tous les idempotents sont sommes d’une famille finie d’iidempotents eλ,g, 0k λ 1k, g G.
Tous les idempotents indécomposables sont donc de cette forme et les idempotents de cette forme sont tous indécomposables.

Démonstration Soit e = gχ(g)g un idempotent de k[G] :
considérons les idempotents fg = (χ(g)g), (g1G) et f = gfg; comme, pour tout g, e χ(g)g, on a aussi e fg et donc e f. Mais e = gχ(g)g gfg = f et on a donc l’égalité.
Ceci prouve que tous les idempotents sont sommes d’une famille finie de fg et si de plus e est indécomposable, c’est donc l’un de ces idempotents.
Soit maintenant e = (λg) pour λ 1k, g G :
Si e est la somme d’une famille finie d’idempotents (ei), chaque ei étant lui même somme d’idempotents ei,j = (λi,jgi,j), e peut donc s’écrire comme somme de ces idempotents.
On a nécessairement λ = N(e) N(ei,j) = λi,j λi,jki,j = λ, pour au moins un couple (i,j), avec g = gi,jki,j ; on a alors nécessairement, si λ < 1k, ki,j = 1 et λ = λi,j, ce qui donne e = ei,j et prouve donc bien que e est indécomposable; si λ = 1k, ce qui précède montre que g appartient au sous-groupe engendré par gi,j et d’autre part e ei,j montre réciproquement que gi,j est dans le support de e et appartient au sous-groupe engendré par g; on a donc encore que e = g = g i,j = e i,j.

Lemme 10 On a eλ,g eμ,h, pour deux idempotents indécomposables, si et seulement si g appartient au sous-groupe engendré par h et λ μk où k est le plus petit entier tel que g = hk.

Démonstration La condition est nécessaire puisque le coefficient de g dans eμ,h est justement μk.
Réciproquement λg eμ,h implique bien eλ,g = (λg) e μ,h.

La proposition suivante montre qu’un idempotent admet une unique décomposition (à l’ordre près) en somme d’idempotents indécomposables, qui est la somme des indécomposables maximaux parmi ceux inférieurs à cet idempotent :

Proposition 11 Soit e = gG𝜃(g)g un idempotent de k[G]. Soient l’ensemble des idempotents fg = (𝜃(g)g) et F l’ensemble des g G tels que fg soit maximal dans : l’écriture e = gFfg est minimale et toute décomposition de e en somme d’idempotents indécomposables contient ces idempotents.

Démonstration D’après la proposition précédente, il est clair que l’on a bien e = gFfg.
On peut alors remarquer que eλ,g + eμ,g = eλ+μ,g et donc qu’une écriture minimale (c’est-à-dire dont on ne peut enlever aucun terme) comportera au plus un idempotent indécomposable défini par chaque g G.
Soit alors une telle décomposition en somme d’idempotents indécomposables de e : e = gK(μgg); pour g F, e fg implique qu’il existe h G tel que hk = g et μhk 𝜃(g), soit (μhh) f g, ce qui par définition de F donne eμ,h = (μhh) = f g.

Remarque 12 Distance de Cayley :

Pour obtenir un idempotent à coefficients non nuls, il suffit de partir d’une famille génératrice S et de considérer l’idempotent eλ = (λ gSg) ou, plus généralement, l’idempotent eλ = ( gSλ(g)g) où est définie sur S.
On a alors eλ = λS(g)g où S est ici la fonction longueur prolongée à G en posant S(g) = inf{(g1) + + (gk)g1gk = g,i,gi S}.
Par exemple, pour Sn si l’on prend pour S la classe des transpositions, la longueur d’une transposition est la longueur de sa décomposition minimale en produit de transpositions et la distance associée est la distance de Cayley.
La distance de Hamming s’obtient de même à partir de la famille génératrice S composée des cycles, mais avec (σ) égal à la longueur du cycle σ : la distance à l’unité d’un cycle pour la distance de Hamming est égale à la longueur du cycle et pour une permutation le nombre d’éléments déplacés est inférieur ou égal à la somme des longueurs des cycles; le minimum de cette somme est donc obtenue avec la décomposition en produit de cycles de supports disjoints et est bien égal à la distance de Hamming entre cette transposition et l’identité.

Corollaire 13 En posant g(h) = inf{k h = gk} si h est dans le sous-groupe engendré par g, et + sinon, on obtient donc une famille de fonctions longueurs à valeurs entières (et donc de métriques invariantes associées) telle que toute fonction longueur puisse s’écrire comme minimum d’au plus n 1 fonctions longueurs αgg, 0 < αg. g est la fonction longueur associée au graphe de Cayley du sous-groupe monogène engendré par g.

Remarque 14 Pour λ = 1k, l’écriture minimale de l’idempotent ωG = gGg donnée par la décomposition en idempotents indécomposables obtenue ci-dessus s’obtient en gardant les g tels que g engendre un sous-groupe cyclique maximal, puisque si g engendre le sous-groupe H, g = ω H = hHh; cette décomposition est donc équivalente à l’écriture de G comme réunion de ses sous-groupes cycliques maximaux (en effet G = iHi équivaut à ωG = iωHi) ([CMN13] ou [LG16]).

3 Centre de l’algèbre et caractères

3.1 Centre de l’algèbre

Soient G un groupe fini et k un semi-corps idempotent totalement ordonné.
Le centre de ce semi-anneau Z = Z(k[G]) est engendré comme habituellement par les éléments aC = gCg, où C est une classe de conjugaison de G (puisque pour x Z et pour tout g G, gxg1 = x, ce qui implique que les coefficients de deux éléments conjugués sont les mèmes). C’est donc encore un k-module libre de dimension le nombre de classes de conjugaison de G.

La base (𝜃C), duale de la base (aC) de Z, est donc une base de l’ensemble des fonctions centrales (i.e. constantes sur les classes de conjugaison) sur G à valeurs dans k. Un idempotent e est central si et seulement si la fonction idempotente associée χ, (telle donc que e = gGχ(g)g) est centrale (i.e. constante sur les classes de conjugaison) et on peut alors écrire e = Cχ(aC)aC, oû C parcourt l’ensemble des classes de conjugaison de G.

Définition 15 Une fonction centrale idempotente (pour le produit de convolution) sera appelée caractère idempotent de G.

Remarque 16

Un caractère idempotent χ définit donc un idempotent central de l’algèbre de groupe e = χ(g)g.
La valeur en g du caractère χ est la trace de l’endomorphisme de k[G], heg1h (multiplication par eg1) : ce qui correspond dans le cas classique au fait que le caractère considéré est la trace de la représentation sur ek[G], sous-représentation de la représentation régulière.

On appellera m le nombre de classes de conjugaison distinctes de G, qui est donc aussi la dimension du centre Z de k[G].

3.2 Idempotents irréductibles

Définition 17 Un idempotent e est dit irréductible s’il est central et s’il n’est pas la somme d’une famille finie d’idempotents centraux strictement inférieurs :
i.e. si e = i=1ne i, où les ei sont des idempotents centraux et n , implique que e = ei, pour au moins un i.

On dira de même qu’un caractère idempotent est irréductible si l’idempotent associé l’est, c’est à dire que, s’il est la somme d’autres caractères idempotents, il doit être égal à l’un d’eux.

Nous allons montrer que ces idempotents irréductibles, permettent d’obtenir tous les caractères idempotents et donc tous les idempotents centraux de k[G], et se classent en familles indexées par [0k, 1k] dans k, attachées aux classes de conjugaison de G :

Proposition 18 Soit C1 la classe de conjugaison réduite à l’élément neutre de G.
1) Pour toute classe de conjugaison C de G, la suite ((C1 C)k) k est croissante et stationnaire à partir d’un rang p m 1.
2) Pour toute classe de conjugaison C de G et tout λ k,λ 1k, la série ( λka Ck) converge et (λaC) = n(λaC)n = 0m1λka Ck.
eλ,C = (λaC) est un idempotent central de k[G], de caractère associé (λ𝜃C) (l’étoile s’entendant ici au sens du produit de convolution des fonctions centrales sur G).
3) Tous les idempotents centraux sont sommes d’une famille finie d’idempotents eλ,C, C parcourant les classes de conjugaison de G, 0 λ 1k. Tous les idempotents irréductibles sont donc de cette forme et les idempotents de cette forme sont tous irréductibles.
4) La décomposition minimale d’un idempotent central en somme d’irréductibles est unique (à l’ordre près).

Démonstration

1) Pour tout k, (C1 C)k est une réunion de classes de conjugaison : soit nk le nombre de ces classes. La suite ((C1 C)k) est croissante et stationne dès que deux termes consécutifs sont égaux; il en est donc de même de la suite (nk). Dans le cas non trivial où CC1, n1 = 2 et nk m, le résultat est clair.

2) La convergence résulte du a) et le reste de l’assertion se vérifie de manière élémentaire.

3) La preuve est analogue à celle concernant les idempotents indécomposables :
Soit e = gμgg = CμCaC un idempotent central de k[G] : considérons les idempotents fC = (μCaC) et f = CfC; comme, pour toute classe C, e μCaC, on a aussi e fC et donc e f.
Mais e = CμCaC CfC = f et on a donc l’égalité.
Ceci prouve que tous les idempotents centraux sont sommes des fC et si de plus e est irréductible, c’est donc l’un de ces idempotents.
Soit e = eλ,C pour λ 1k, C désignant une classe de conjugaison de G.
Si e est la somme d’une famille finie d’idempotents centraux, chacun étant lui même somme d’idempotents associés à des classes de conjugaisons, il suffit donc, ici encore, de considérer une décomposition e = (λiaCi) et de montrer que l’un de ces idempotents est nécessairement égal à e :
on a donc pour g C, λ = λir pour au moins un i et un r tel que C Cir; on a d’autre part N(e) = λ N((λiaCi)) = λ i. D’où, si λ1k, r = 1, soit C = Ci et λ = λi, ce qui donne le résultat. Si λ = 1k, ce qui précède montre que C est incluse dans le sous-groupe Hi engendré par Ci.
L’inclusion de Hi dans le sous-groupe H = supp(e) est donné par l’inégalité e (λiaCi). L’égalité des sous-groupes équivaut ici à l’égalité des idempotents.

4) L’unicité se démontre aussi en suivant la même méthode que pour la décomposition en indécomposables :
on peut d’abord remarquer que eλ,C + eμ,C = eλ+μ,C et donc qu’une écriture minimale comportera au plus un idempotent irréductible défini par chaque classe C G.
D’autre part on a encore eλ,C eμ,D si et seulement si il existe k tel que C Dk et λ μk. L’écriture minimale de f = fCaC s’obtient en prenant uniquement la somme des efC,C maximaux dans la famille.

Remarque 19

Pour λ = 1k, la décomposition de l’idempotent ω = gGg obtenue ci-dessus revient à écrire le groupe G comme réunion de sous-groupes normaux engendrés par certaines classes de conjugaisons, et ces sous-groupes seront propres si aucune classe de conjugaisons n’engendre le groupe. Un groupe sera donc "anti-simple" si et seulement l’idempotent ω n’est pas irréductible ([Bha09]).

La proposition précédente permet aussi de donner une caractérisation simple des idempotents irréductibles, qui ne sont pas de la forme ωH pour un sous-groupe H de G :

Proposition 20 1) Si e et f sont deux idempotents centraux, e + f est un idempotent si et seulement si ef = e + f.
2) Un idempotent e, tel que N(e)1k, est irréductible s’il est central et vérifie la condition :
e = fg où f et g sont deux idempotents centraux implique e = f ou e = g.

Démonstration 1) Comme les idempotents sont tous supérieurs à 1G, ef est un idempotent (car e et f sont centraux) supérieur à e + f. Or (e + f)2 = e + f + ef.

2) Supposons vérifiée la condition du 2) : si e = e1 + e2 + en : on a de même e e1e2en en = e, d’où e = e1 ou e = e2en et on a donc le résultat par itération.
Réciproquement il suffit, d’après la proposition précédente, de montrer que les eλ,C = (λaC) vérifient cette condition, soit donc que eλ,C = fgf et g sont deux idempotents centraux, implique e = f ou e = g :
or on peut écrire f = eλi,Ci et g = eμi,Ci, 1 i m où les Ci sont les m classes de conjugaisons et les λi, μi des scalaires inférieurs à 1k.
De l’égalité e = i,jeλi,Cieμj,Cj et de eλi,Cieμj,Cj = k,lλikμ jla Cika Cjl on tire aisément N(e) = λ = i,j(λi + μj), soit λ = sup i,j(λi,μj). On peut donc supposer qu’il existe un i tel que λ = λi est maximal (quitte à intervertir f et g) ce qui implique aussi, puisque λ < 1, C = Ci et donne bien finalement e f eλi,Ci = e.

Exemple 21 Mais d’autre part une somme d’idempotents irréductibles n’est pas nécessairement un idempotent :
En prenant pour G le groupe à 4 éléments (2)2 = {1,a,b,c}, avec donc a2 = b2 = c2 = 1 et ab = c, 1 + a et 1 + b sont bien deux idempotents irréductibles et 1 + a + b n’est pas un idempotent.

Pour remédier à cet état de fait et obtenir une construction directe des idempotents centraux à partir des irréductibles, on peut utiliser d’après ce qui précède le produit au lieu de la somme (le produit de deux idempotents centraux étant bien lui un idempotent) :

Proposition 22 Les idempotents centraux sont exactement les produits d’idempotents irréductibles.

Démonstration En effet si e est un idempotent central, on a vu que e était somme d’une famille finie d’idempotents irréductibles, (fi)1in, et e fi pour tout i,ce qui implique e = en f 1fn et ce produit étant supérieur à la somme est bien aussi plus grand que e.

Remarque 23 1) Il y a donc m 1 familles d’idempotents irréductibles, données par m 1 familles de caractères irréductibles, pour un groupe G ayant m classes de conjugaison. L’idempotent 1G qui correspond à la classe de l’élément neutre, s’obtient aussi en faisant λ = 0k dans une de ces familles, si le groupe n’est pas réduit à un élément .
2) Les idempotents centraux de k[G], et donc les distances bi-invariantes sur G, forment un treillis pour la relation d’ordre usuelle (sur un semi-anneau idempotent) e f si e + f = e et donc ef = e, puisque les idempotents sont supérieurs à 1G. e f équivaut donc à ek[G] fk[G] ; cet ordre est donc l’opposé de celui défini par l’inclusion (à l’inverse du cas classique où ef = e indique que f se décompose en e + (1 e)f) :
Le sup de e et f est en effet ef (puisque ef e, ef f et g e, g f implique g = g2 ef) et l’inf est h = inf(χ(g),ψ(g))g si e = χ(g)g et f = ψ(g), (puisque h ainsi défini est bien un idempotent inférieur à e et f et que k e et k f implique k h).

3.3 Calcul des caractères irréductibles

Proposition 24 Soit C une classe de conjugaison d’un groupe fini G et λ < 1k.
On définit, pour g appartenant à la classe de conjugaison D, i = i(g,C) = i(D,C) comme le plus petit entier tel qu’un élément g G appartienne à la réunion de classes Ci, s’il existe, sinon on pose i(g,C) = +. On a alors pour tout g G, χλ,C(g) = λi(g,C), et donc : eλ,C = λi(D,C)a D.
(avec les conventions C0 = {1}, et donc i(1,C) = 0 pour toute classe C, et λ+ = 0 k, si λ < 1k).

Démonstration La proposition découle du calcul de eλ,C = (λaC) = 0m1λkCk : le coefficient de g dans cette somme est en effet λii est le premier indice tel que g Ci.

Remarque 25 1) Si D n’est pas la classe de 1, les i(C,D) finis sont donc tous inférieurs ou égaux à m 1.
2) En posant, pour chaque classe de conjugaison C, C(h) = inf{k h Ck}, si h est dans le sous-groupe engendré par C et + sinon, on obtient donc une famille de fonctions longueurs à valeurs entières, centrales, (et donc de distances bi-invariantes associées) telle que toute fonction longueur centrale puisse s’écrire comme infimum d’au plus m 1 fonctions longueurs αCC, αC > 0.

4 Exemples

Exemple 26 Pour G = A3 (ou 3), et ρ = (1, 2, 3) les classes sont réduites à un élément et les deux familles d’idempotents irréductibles sont les familles eλ = (λρ) = 1 + λρ + λ2ρ2, et fλ = (λρ2) = 1 + λρ2 + λ2ρ, pour λ 1k.

Exemple 27 Pour G cyclique d’ordre 4 engendré par g, les classes sont aussi réduites à un élément et les trois familles d’idempotents irréductibles sont : eλ = (λg) = 1 + λg + λ2g2 + λ3g3, fλ = (λg2) = 1 + λg2, et hλ = (λg3) = 1 + λg3 + λ2g2 + λ3g, pour λ 1k.

Exemple 28 Pour G = S3, en notant σ la transposition (1, 2), les classes sont C1 = {1}, C2 = {ρ,ρ2}, C3 = {σ,σρ,σρ2} et les éléments centraux correspondants 1, a2 = ρ + ρ2, a3 = σ + σρ + σρ2.
Un calcul facile donne donc ici les deux familles d’idempotents centraux correspondant aux éléments de base : 1 + λa2, 1 + λ2a 2 + λa3.

Exemple 29 Pour G = A4, il y a 4 classes de conjugaison, C1 = {1}, C2 formée des produits de deux transpositions de supports disjoints, et deux classes C3 et C4 formées des 3-cycles, C4 étant composée des inverses des éléments de C3 et vérifiant C32 = C 4, C42 = C 3, C3C4 = C2.
Il y a donc aussi 4 éléments dans la base associée du centre qui seront notés ai pour 1 i 4.
Les familles d’idempotents irréductibles associées à ces classes sont :
(λa2) = 1 + λa 2
(λa3) = 1 + λa 3 + λ2a 4 + λ3a 2
et (λa4) = 1 + λa 4 + λ2a 3 + λ3a 2.

Exemple 30 Pour G = S4, il y a 5 classes de conjugaison (dont 3 dans A4) : C1 = {1}, C2 formée des produits de deux transpositions de supports disjoints, D3 formée des cycles de longueur 3, D4 formée des transpositions et D5 des cycles de longueur 4.
Il y a donc aussi 5 éléments dans la base associée du centre qui seront notés a1,a2,b3,b4,b5 pour éviter la confusion avec les éléments centraux de k[A4], qui ne le sont plus dans k[S4] (b3 = a3 + a4 donc).
Les 4 familles d’idempotents correspondantes sont :
e2,λ = 1 + λa2,
e3,λ = 1 + λ2a 2 + λb3,
e4,λ = 1 + λ2(a 2 + b3) + λb4 + λ3b 5,
e5,λ = 1 + λ2(a 2 + b3) + λ3b 4 + λb5.

A noter que e3,λ qui est donc irréductible dans k[S4], ne l’est pas dans k[A4].

Remarque 31 On peut voir facilement que la distance de Cayley sur Sn est définie par le caractère associé à la classe des transpositions, et donc dans cet exemple,à D4 et à l’idempotent e4,λ ; par contre la distance de Hamming n’est pas "irréductible"; elle est associée sur S4 à l’idempotent central 1 + λ4a 2 + λ3b 3 + λ2b 4 + λ5b 5 et donc définie à partir de la distance à l’identité des cycles, égale à leurs longueurs. Une décomposition minimale de cet idempotent est e4,λ2 + e3,λ3 + e5,λ5.

Exemple 32 Soit Q = {1,1,i,i,j,j,k,k} le groupe des quaternions.
Les classes de conjugaison en sont : C1 = {1}, C2 = {1}, C3 = {i,i},C4 = {j,j} et C5 = {k,k}.
En notant ai = gCig pour 1 i 5, les familles d’idempotents irréductibles associées aux classes sont :
1 + λa2, 1 + λ2a 2 + λa3, 1 + λ2a 2 + λa4, 1 + λ2a 2 + λa5.

5 Idempotents et caractères symétriques

Les fonctions coordonnées "symétriques" i.e. vérifiant χ(g) = χ(g1) correspondent aux fonctions longueurs symétriques et donc aux "métriques symétriques". Dans le cas de Sn les fonctions coordonnées, et donc les caractères centraux, sont tous symétriques car g et g1 sont toujours conjugués (g et g1 ayant même formule). Les distances faibles sont donc toutes des distances.

Pour A3 (exemple 1) ce sont ceux qui vérifient χ(ρ) = χ(ρ2). Il ne sont donc pas en général irréductibles, sauf 1 et 1 + a2 + a3.

En général les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents symétriques minimaux :

Proposition 33 1) Les idempotents fλ,g = (λ(g + g1)) sont symétriques et tous les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents fλ,g.
2) fλ,g = eλ,g + eλ,g1 = (λg) + (λg1).

Démonstration 1) En effet si f = xgg est un idempotent symétrique et f eλ,g alors f xgg1 et donc f fλ,g.

2) (λg + λg1) =(λg + λg1)k =(λg)k + (λg1)k, λ 1 assurant que les autres termes sont plus petits.

Plus généralement si S est une famille génératrice du groupe G, l’idempotent ( gSλgg) est un idempotent symétrique si S l’est et λg = λg1 pour tout g S.

Pour une classe de conjugaison C, on notera C la classe des g1 pour g C; on peut alors donner une famille génératrice d’idempotents "symétriques irréductibles" :

Proposition 34 Les idempotents centraux fλ,C = (λ(aC + aC)) sont symétriques et tous les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents fλ,C.

Démonstration En effet si f = CλCaC est un idempotent central symétrique, on a f λCaC, d’où f λCaC et donc f fλ,C.

Remarque 35 1) En général fλ,Ceλ,C + eλ,C.
2) Si l’on regarde les distances classiques invariantes d’un seul côté sur Sn (cf. [Dia88]), associées donc à l’idempotent ed = λd(1,σ)σ :
- la distance I dite "Kendall’s tau", qui compte le nombre minimal de transpositions adjacentes dans la décomposition d’une permutation, est définie par la famille génératrice des (i,i + 1), et donc par l’idempotent eI = (λ (i,i + 1)).
- la distance D dite "Footrule" sur S4 qui provient de la norme 1, (D(π,σ) = |π(i) σ(i)|) est aussi définie à partir de la distance à l’identité des permutations et est donc associée à l’idempotent eD = (λ((1, 2) + (2, 3) + (3, 4)) + λ2((1, 3) + (2, 4)) + λ3(1, 4)).
- on peut vérifier que la distance L de Ulam sur S4, qui pour σ S4 vaut 4 moins la longueur maximale d’une sous-suite croissante dans la famille (σ(i)), correspond elle à l’idempotent eL = (λ((1, 2)+(2, 3)+(3, 4)+(2, 3, 4)+(1, 3, 2)+(2, 4, 3)+(1, 2, 3, 4)+(1, 4, 3, 2))), c’est à dire qu’elle est entièrement déterminée par les éléments dont la distance à l’identité est 1 (pour lesquels il existe donc une suite croissante de 3 éléments dans l’image).

On peut constater que les familles génératrices considérées sont bien symétriques et que pour la distance de Cayley, il s’agit bien d’une classe de conjugaison de Sn.
On peut voir aussi que pour toutes ces distances usuelles, les transpositions (i,i + 1) ont une distance à l’identité égale à 1 et qu’elles sont donc toutes inférieures à la distance de Kendall; en termes d’algèbre de groupe cela se traduit par le fait que l’idempotent eI associé à la distance de Kendall est inférieur à celui associé à chacune des autres distances, qui appartient donc toujours à l’idéal k[G]eI : si e = e2 e I, on a e2 ee I e (puisque eI Id) et donc bien e = eeI ; ceci peut s’interpréter, par analogie avec le cas classique, en disant que ces distances sont associées à des sous-représentations de la représentation associée à la distance de Kendall.

6 Extension aux groupes infinis

6.1 Cas général

Le semi-corps de base est ici le semi-corps des réels positifs max-plus k = max = (+, max,×) (l’ordre de max est donc l’ordre usuel).
Une partie des résultats précédents se généralise aux groupes infinis; en particulier le lien entre les fonctions idempotentes et les distances invariantes subsiste, ainsi que la décomposition des fonctions idempotentes en sommes (i.e. sup) de fonctions élémentaires :
soit G un groupe; l’espace des toutes les fonctions de G dans k (dual de l’algèbre de groupe dans le cas fini) sera ici remplacé par l’espace des fonctions majorées :

Remarque 36

En prenant comme semi-corps de base le semi-corps des réels min-plus k = min = ( {+}, min, +), l’ordre est inversé par rapport à l’ordre usuel et il faudrait donc considérer l’espace des fonctions minorées (pour l’ordre usuel).

Définition 37 Soit G un groupe et k le semi-corps max = (+, max,×).
1) S(G) désignera l’ensemble des fonctions majorées de G dans k.
2) On notera δg la fonction de Dirac en g G (valant 1k sur g et 0k ailleurs).

Proposition 38 1) S(G) est muni du produit de convolution.
2) Soit M la fonction définie sur S(G) par M(ψ) = gψ(g). La fonction M est multiplicative.

Démonstration

1) En effet le χ ψ(g) = sup hχ(h)ψ(h1g) est fini pour tout g G et majoré car pour tout h, χ(h)ψ(h1g) M 1M2, si χ est majorée par M1 et ψ par M2.

2) Soient ψ1 et ψ2 deux éléments de S(G) et (gn) et (hn) deux suites d’éléments de G telles que les suites (ψ1(gn)), (ψ2(hn))) tendent respectivement vers M(ψ1) et M(ψ2). La suite (ψ1(gn)ψ2(hn)) tend vers M(ψ1)M(ψ2) en étant majorée par M(ψ1 ψ2). L’autre inégalité est triviale.

Définition 39 Soit G un groupe.
1) On appelera idempotent de S(G) une fonction idempotente de S(G) (pour le produit de convolution), valant 1k sur 1G (i.e. égale à son étoile de Kleene).
2) Un caractère de G est un idempotent de S(G) central sur G (i.e. invariant sur les classes de conjugaison de G) .

Proposition 40 1) Pour λ [0, 1] et g G, les fonctions ϕλ,g = λkδ gk = (λδg), sont des idempotents de S(G).
2) Un idempotent de S(G) est à valeurs dans [0, 1].
3) Pour deux idempotents de S(G), ϕ et ψ, N(ϕ ψ) = N(ϕ) + N(ψ).

Démonstration 1) Ces fonctions sont clairement bornées et idempotentes et valent bien 1k sur 1G.
2) Soit ψ S(G) une fonction idempotente non nulle; on a donc M(ψ2) = M(ψ) d’où M(ψ) = 1k puisque M(ψ) ne peut être ni nul ni infini.
3) Ceci résulte aisément de ce que ϕ(1G) = ψ(1G) = 1k.

Remarque 41 Les idempotents ψ de S(G), correspondent donc encore aux fonctions longueurs sur G, par (g) = ln(ψ(g)) (et directement en prenant comme corps de base k = min).

On obtient comme dans le cas fini une décomposition en somme (ici infinie) d’idempotents élémentaires (λδg) :

Proposition 42 Soit G un groupe.
Tous les idempotents sont sommes d’une famille d’idempotents (ϕλg,g), pour une famille (λg)gG, avec 0k λg 1k pour tout g.

Démonstration Soit χ = gχ(g)δg un idempotent de S(G) :
considérons les idempotents fg = (χ(g)δg), (g1G) et f = gfg; comme, pour tout g, χ χ(g)g, on a aussi χ fg et donc χ f.
Mais χ = gχ(g)δg gfg = f et on a donc l’égalité. Ceci prouve que tous les idempotents sont sommes des fg.

6.2 Groupes topologiques séparés

Dans le cas des groupes dénombrables on obtient donc une décomposition des idempotents de S(G) en sommes dénombrables d’idempotents élémentaires. Nous indiquons ci-dessous comment on peut généraliser ces décompositions “hilbertiennes” au cas des groupes topologiques séparés, pour les fonctions idempotentes correspondant aux métriques dont les boules sont compactes.

Définition 43 Soit G un groupe topologique séparé et k le semi-corps max = (+, max,×).
1) Soit f une fonction de G dans k. On dira que f tend vers 0 à l’infini si et seulement si pour tout α > 0, {g Gχ(g) α} est compact.
On notera S0(G) le sous-espace de S(G) des fonctions tendant vers zéro à l’infini.
2) Pour une partie V de G, on notera IV la fonction valant 1 sur V et 0 ailleurs.

Proposition 44 1) Les fonctions tendant vers zéro à l’infini sont semi-continues supérieurement et sont donc aussi bornées sur G.
2) Pour tout λ [0, 1[ et toute partie compacte V de G, la fonction ϕλ,V = λkI V k = (λIV ), est un idempotent de S0(G).
3) Toute fonction f S0(G) idempotente (non nulle) vérifie f(1G) = 1k et est donc un idempotent de S(G), au sens ci-dessus.

Démonstration

1) Comme pour tout α > 0, {g Gχ(g) α} est compact et donc fermé et {g Gχ(g) 0} = G, χ est bien semi-continue supérieurement. Soit alors H = {g Gχ(g) 1k}; χ étant semi-continue supérieurement est majorée sur H et donc sur G.

2) Comme λ < 1, pour tout α > 0, la partie {h Gϕλ,V (h) α} = {iV iλi α} est une réunion finie de produits finis de compacts et est donc compacte et fermée.
Les fonctions ϕλ,V définies ci-dessus, tendent donc vers 0 à l’infini et appartiennent bien à S0(G).

3) Puisque f tend vers zéro à l’infini il existe un compact K tel que M(f) = gKf(g) et comme f est semi-continue supérieurement ce sup est atteint sur K : il existe donc un h G tel que f(h) = M(f) = 1k.
H = f1(1) = {g Gf(g) 1 k} est alors une partie de G, non vide, stable (puisque f étant idempotente on a f(gh) f(g)f(h)) et compacte par hypothèse : on peut alors extraire de la suite (hn) d’éléments de H une sous-suite convergente (hnk ) et la suite (hnk+1nk ) est alors une suite d’éléments de H qui converge vers 1G.; 1G appartient donc à H et on a bien f(1G) = 1k.

Remarque 45 1) Si G est un groupe compact les fonctions semi-continues supérieurement sont bornées et tendent vers 0 à l’infini.
2) Les fonctions ϕλ,V sont semi-continues supérieurement, mais ne sont pas en général continues : si g est d’ordre infini, on peut construire comme ci-dessus une suite (gmk ) convergeant vers 1G alors que, avec V = {g} et λ < 1, la suite de terme général ϕλ,V (gmk ) = λmk converge vers 0.
3) Les fonctions IV sont symétriques si V l’est et centrales si V est réunion de classes de conjugaison.
4) Si χ S(G) est une fonction idempotente symétrique, on obtient facilement que χ(1G) = 1 et ainsi le lien avec les fonctions longueurs (symétriques), en remarquant que χ(1G) χ(g)2, pour tout g G.
5) Les idempotents de S0(G) correspondent aux métriques invariantes sur G dont les boules sont compactes.

On peut encore obtenir à partir de ces idempotents une décomposition en somme dénombrable des idempotents de S0(G) :

Proposition 46 Soit G un groupe topologique séparé.
1) Pour tout idempotent ψ de S0(G), il existe une famille dénombrable de parties compactes (V n) et une suite (λn) d’éléments de k telles que ψ = n(λnIV n).
2) Tout caractère de G est somme d’une famille dénombrable de caractères (λnIV n).

Démonstration

1) Soit (λn)n une partie dénombrable de ]0, 1[, dense dans [0, 1] :
on considère les V n = {g Gψ(g) λn}, non vides qui sont bien des parties compactes de G, par hypothèse. ψ est alors égal à ϕ = n(λnIV n) :
Il est clair que ψ λnIV n et donc ψ (λnIV n) pour tout n, (puisque ψ 1 = I{1}); on a ainsi ψ ϕ. Pour g G, et tout 𝜖 > 0, il existe un p tel que ψ(g) λp ψ(g) 𝜖; on a alors ϕ(g) (λpIV p)(g) ψ(g) 𝜖. On a donc ϕ(g) ψ(g) pour chaque g et finalement donc l’autre inégalité.
On a donc bien ψ = sup n(λnIV n).
2) Si de plus ψ est centrale, les V n = {g Gψ(g) λn} sont compactes (car ψ tend vers 0 à l’infini), stables par conjugaisons et donc réunions de classes. Les idempotents (λnIV n) sont donc bien aussi centraux.

Remarque 47 1) On peut donc associer à un compact V de G la métrique invariante élémentaire dV , telle que dV (g) = k si g V k i<kV i.
dV est une distance si V est réunion de classes et si la réunion des puissances de V recouvre tout le groupe.
2) Si le groupe est localement compact, muni d’une distance invariante d, celle-ci est donc donnée par une fonction ψ qui appartient à S0(G) et se décompose donc en somme de fonctions élémentaires ϕαp,V p : la distance est donc, elle, l’inf de la famille de métriques élémentaires associées.

Acknowledgements Le rapporteur a contribué par ses conseils et suggestions à l’enrichissement de cet article, en particulier de la partie sur les groupes infinis, et à sa lisibilité par sa relecture attentive.
Le premier auteur souhaite aussi particulièrement remercier l’équipe Max-Plus pour ses invitations répétées et son hospitalité.

Références

[Avi80] D. Avis. On the extreme rays of the metric cone. Can. J. Math., XXXII(1) :126–144, 1980. [Bat95] V. Batagelj. Norms and distances over finite groups. J. Combinatorics ISS, 20 :243–252, 1995. [BD92] H.J. Bandelt and A. Dress. A canonical decomposition theory for metrics on a finite set. Adv. in Math., 92 :47–105, 1992. [Bha09] M. Bhargava. Groups as unions of proper subgroups. Amer. Math. Monthly, 116 :413–422, 2009. [Bun74] P. Buneman. A note on the metric properties of trees. J. of Comb. Th. (B), 17 :48–50, 1974. [But03] P. Butkovič. Max-algebra : the linear algebra of combinatorics ? Linear Algebra Appl., 367 :313–335, 2003. [Cas10] D. Castella. Éléments d’algèbre linéaire tropicale. Linear Algebra Appl., 432(6) :1460–1474, 2010. [CC10] A. Connes and C. Consani. Schemes over 𝔽1 and zeta functions. Compos. Math., 146(6) :1383–1415, 2010. [CD79] G. Cohen and M. Deza. Distances invariantes et l-cliques sur certains demi-groupes finis. Mathématiques et sciences humaines, 67 :49–69, 1979. [CGQ04] G. Cohen, S. Gaubert, and J. P. Quadrat. Duality and separation theorems in idempotent semimodules. Linear Algebra Appl., 379 :395–422, 2004. E-print arXiv:math.FA/0212294. [CMN08] G.A. Cannon, C.J. Maxso, and K.M. Neuerburg. Rings and covered groups. J. of Algebra, 320 :1586–1598, 2008. [CMN13] G.A. Cannon, C.J. Maxso, and K.M. Neuerburg. Ring determined by cyclic covers of groups. J. of Algebra, 396 :1–9, 2013. [Coh94] J.H.E. Cohn. On n-sum groups. Math. Scand., 75 :44–58, 1994. [CR81] C. Curtis and I. Reiner. Methods of Representation Theory. Wiley, New York, 1981. [Cri85] D. E. Critchlow. Metric methods for analyzing partially ranked data, volume 34. Springer-Verlag, 1985. [DDP02] M. Deza, M. Dufour, and E. Panteleeva. Small cones of oriented semi-metrics. Am. J. Math. and Manag. Sc., 22 :199–225, 2002. [DH98] M. Deza and T. Huang. Metrics on permutations, a survey. J. Combinatorics ISS, 23 :173–185, 1998. [Dia88] P. Diaconis. Group representations in probability and statistics, volume 11 of Lecture Notes - Monograph Series. Institute of Mathematical Statistics, Hayward, California, 1988. Edited by Shanti S. Gupta. [DMT96] A. Dress, V. Moulton, and W. Terhalle. T-theory : An overview. Europ. J. Combinatorics, 17 :161–175, 1996. [DP00] M. Deza and E. Panteleeva. Quasi-semi-metrics, oriented multi-cuts and related polyhedra. Europ. J. Combinatorics, 21 :777–795, 2000. [DT98] A. Dress and W. Terhalle. The tree of life and other affine buildings. Doc. math., ICM III :565–574, 1998. [Gol99] J. Golan. Semi-rings and their applications. Kluwer Academic Publishers, Dordrecht, 1999. (Updated and expanded version of The theory of semi-rings, with applications to mathematics and theoretical computer science). [GP97] S. Gaubert and M. Plus. Methods and applications of (max,+) linear algebra. In R. Reischuk and M. Morvan, editors, Proceedings of the 14th Annual Symposium on Theoretical Aspects of Computer Science (STACS’97), number 1200 in Lecture Notes in Comput. Sci., Lübeck, March 1997. Springer. [Les09] P. Lescot. Algèbre absolue. Ann.Sci.Math.Québec, 33(1) :63–82, 2009. [LG16] A. Lucchini and M. Garonzi. Irredundant and minimal covers of finite groups. Com. In Algebra, 44 :1722–1727, 2016. [Ren75] G. Renault. Algèbre non commutative. Herman, Paris, 1975. [Ser78] J.P. Serre. Représentations linéaires des groupes finis. Collection Méthodes. Herman, Paris, 1978.