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Algèbre de groupe en caractéristique 1
et distances invariantes sur un groupe fini
Dominique Castella Stéphane Gaubert
7 Septembre, 2017
Dominique Castella
Université de la Réunion
Laboratoire d’Informatique et de Mathématiques, Pôle Technologique Universitaire,
97490 Sainte Clotilde, France
E-mail: dominique.castella@univ-reunion.fr,
Stéphane Gaubert
INRIA Saclay-Île-de France and CMAP,École Polythechnique, UMR 7641 CNRS
CMAP, Route de Saclay, 91128 Palaiseau Cedex, France
E-mail: Stephane.Gaubert@inria.fr
Invariant metrics on a finite group arise in particular in statistics. They turn out to
be closely related to the idempotent elements of the group algebra over the min-plus
semifield. The central idempotents (corresponding to bi-invariant metrics)
are given by the characters of linear representations of this group. We show
that these characters can be obtained from irreducible characters, and more
generally, that every idempotent has a unique decomposition as a sum of minimal
idempotents. We characterize the minimal idempotents, and construct the irreducible
characters from the conjugacy classes of the group. This shows in particular that all
the invariant metrics are generated by a finite parametric family of invariant
metrics, which are Cayley metrics of cyclic subgroups. The usual distances over
are
easily recovered from this construction. These result partly carry over to infinite
groups.
Résumé . Les distances et plus généralement les métriques invariantes sur
un groupe fini, utilisées en particulier en statistique, sont étroitement liées aux
idempotents de l’algèbre du groupe sur le semi-corps idempotent des réels min-plus.
Comme dans le cas classique, les idempotents centraux (qui correspondent aux
distances bi-invariantes) sont donnés par les caractères de représentations linéaires
de ce groupe. Nous montrons que ces caractères s’obtiennent encore à partir de
caractères irréductibles et que plus généralement les idempotents admettent une
décomposition unique en somme d’idempotents minimaux. Nous déterminons de
façon explicite les idempotents minimaux et nous donnons de même la construction
des caractères irréductibles à partir des classes de conjugaison du groupe. Ce travail
conduit en particulier à la mise en valeur d’une famille finie de métriques invariantes,
à valeurs entières, engendrant toutes les autres : ce sont les métriques de
Cayley associées aux sous-groupes monogènes. Les distances usuelles sur
s’interprètent alors facilement dans cette construction. Ces résultats se généralisent en
partie aux groupes infinis.
1 Introduction
Les métriques sur un ensemble fini ont été étudiées en combinatoire et en programmation linéaire (voir en particulier [CD79], [Avi80], [DP00], [DDP02] ou encore [BD92]). Elles interviennent notamment en analyse phylogénétique ([Bun74], ou [DT98] ou bien [DMT96]). La situation où l’ensemble est muni d’une structure de groupe et où la métrique est invariante (d’un côté ou des deux) apparaît en statistique, voir [Dia88] ou [Cri85], mais aussi en théorie des codes correcteurs. Ces métriques sont alors données par les fonctions longueurs sur le groupe. Les métriques invariantes sur le groupe symétrique , qui incluent par exemple la distance de Hamming, ont été particulièrement étudiées. Nous renvoyons le lecteur à [DH98] pour un tour d’horizon.
Dans cet article, nous considérons les métriques sur un groupe du point de vue de l’algèbre tropicale : la construction de l’algèbre de groupe s’étend au cas où est le semi-corps des réels min-plus, . Ce dernier est constitué des éléments de et muni de l’addition et de la multiplication . des réels min-plus. La donnée d’une métrique, invariante d’un côté, équivaut alors à la donnée d’un idempotent de la semi-algèbre de groupe , la donnée d’une métrique invariante des deux côtés à celle d’un idempotent central de cette algèbre. Ceci nous permet de traduire les questions de décomposition des métriques invariantes en termes d’algèbre de groupe, au sens tropical.
Dans le cas classique, l’étude de l’algèbre de groupe sur un corps est équivalente à l’étude des représentations linéaires de ce groupe et les idempotents centraux sont donnés par les caractères à valeurs dans le corps. Ils sont donnés par les caractères irréductibles qui forment une base des fonctions centrales sur le groupe. Plus généralement, quand la caractéristique du corps ne divise pas l’ordre du groupe, les idempotents sont sommes d’idempotents minimaux correspondant à des sous-modules simples de l’algèbre de groupe (voir par exemple [Ser78], [CR81] ou [Ren75]).
Nous généralisons ici au cas tropical ces propriétés et, malgré des différences inévitables, nous obtenons des résultats assez similaires qui permettent de décrire les idempotents à partir d’idempotents "minimaux" et les idempotents centraux à l’aide de caractères irréductibles. Ceci permet de décomposer les distances invariantes sur un groupe comme infimum d’une famille de distances associées aux graphes de Cayley des sous-groupes cycliques.
Ces décompositions sont d’autre part étroitement liées à la structure du groupe et en particulier au problème de l’écriture minimale d’un groupe comme réunion de sous-groupes propres ([Bha09], [Coh94] ou [CMN08]).
2 Semi-algèbre de groupe sur un semi-corps idempotent.
Les semi-corps idempotents apparaissent comme les "corps" de la caractéristique 1
et il est possible de développer une algèbre linéaire dans ce cadre; pour les
généralités sur ces structures, on pourra se reporter à [But03] ou encore à [GP97],
[CC10], [Gol99], [Les09] ou [Cas10] .
On définit sans difficultés la notion de module sur un tel semi-corps (voir par exemple [CGQ04]).
Dans toute la suite désigne un semi-corps idempotent totalement ordonné pour la relation d’ordre induite par l’addition ( si ); les éléments neutres respectifs de l’addition et de la multiplication seront notés et et est un groupe fini.
On peut, comme dans le cas classique, considérer l’algèbre de groupe , qui est le -module libre de base , la multiplication se déduisant par bilinéarité de la loi de . On notera l’élément neutre de , qui est donc aussi l’élément unité de .
est un semi-anneau idempotent, intègre (mais non simplifiable, puisque pour ), non commutatif si n’est pas abélien. On appellera support d’un élément la partie de formée des éléments tels que , (notée ).
Un élément , est un idempotent () si et seulement si la fonction associée , vérifie les égalités pour tout , c’est-à-dire si la fonction est idempotente pour le produit de convolution.
Dans la suite le terme idempotent sera utilisé au sens d’idempotent non
nul.
On utilisera les deux fonctions suivantes de
dans
:
Définition 1 Soit ; on lui associera les scalaires
et
Remarque 2 On vérifie par un simple calcul que pour tous ,
Proposition 3 Un élément non nul ,
est un idempotent si et seulement si la fonction associée ,
vérifie
ainsi que les inégalités
pour tout .
est alors nécessairement inférieur ou égal à
pour tout .
Démonstration L’inégalité résulte aussitôt de l’idempotence. Si est idempotent, il vient , et donc ou . Le premier cas est exclu car on a supposé et donc . Il en résulte que pour tout et que pour au moins un . Comme pour un certain entier , il vient et donc . Par ailleurs, les conditions énoncées dans la proposition sont trivialement suffisantes.
Remarque 4 Sur le semi-corps des réels "min-plus", c’est à dire sur le semi-corps , est donc un idempotent si et seulement pour tout couple d’éléments de , , et ; est alors à valeurs positives et est une fonction longueur ( ou norme au sens de [Bat95]) sur (non nécessairement symétrique), ou ce qui est équivalent, la fonction , définie par est une métrique invariante à gauche.
Il est facile de voir que cette fonction est une distance (finie) si et seulement si, pour tout élément de , , .
Les points dont la distance à l’élément neutre est finie forment un sous-groupe
de
et de même les points dont la
distance à est nulle forment
un sous-groupe ; ces deux
sous-groupes sont normaux si
est bi-invariante et dans ce cas la semi-métrique sur
provient donc d’une métrique sur le groupe quotient
:
Lemme 5 Si
est un idempotent d’un groupe fini ,
l’ensemble des
tels que
et l’ensemble des
tels que
sont des sous-groupes de .
Démonstration La fonction est idempotente, d’où : , pour tout couple , ce qui prouve que et sont stables par produit et sont donc des sous-groupes (puisqu’ils contiennent l’élément neutre).
2.2 Idempotents indécomposables
Définition 6
Un idempotent
est dit indécomposable s’il n’est pas somme d’idempotents strictement plus petits
(i.e. vérifie la condition :
où les
sont des idempotents, implique que ,
pour au moins un ).
On dira de même qu’une fonction de
dans
idempotente (pour le produit de convolution) est indécomposable si l’idempotent
associé l’est, c’est-à-dire que, si elle est la somme d’autres fonctions idempotentes,
elle doit être égale à l’une d’elles.
Proposition 7 Soit
l’ordre du groupe fini .
Pour tout ,
tel que ,
on peut définir l’étoile de Kleene de :
et
est un idempotent de .
Démonstration Cette série est stationnaire à partir du rang :
le support de
est inclus dans le sous-groupe
d’ordre ,
engendré par le support de .
Toute décomposition minimale d’un élément de
en produit
d’éléments du support de ,
(i.e. avec
tel que les
soient tous distincts pour ),
a donc au plus
éléments et les autres décompositions ont des coefficients inférieurs puisque
les
sont plus petit que .
Il est alors clair que
est bien idempotent.
Proposition 8 Soit
un groupe fini d’ordre .
1)
pour tout couple d’idempotents de .
2) A tout élément
de ,
et tout ,
,
on peut associer l’idempotent
de .
3) Si ,
.
Les idempotents
et
associés à deux éléments distincts
et
du groupe sont donc différents si
ou .
Démonstration 1) En notant ,
et ,
on a, pour ,
.
Comme
et
sont des idempotents ,
d’où l’autre inégalité.
2) Ceci découle de la proposition précédente.
3) Comme ,
il est immédiat que ;
si
on a donc
et si ,
pour tout ,
,
,
le coefficient de
est strictement inférieur à celui de
ce qui impose donc .
Nous allons montrer que ces idempotents, qui se classent en familles indicées par
dans
, attachées aux
éléments de ,
sont les idempotents indécomposables et permettent d’obtenir tous les idempotents de
:
Proposition 9 Soit
un groupe fini d’ordre .
Tous les idempotents sont sommes d’une famille finie d’iidempotents ,
,
.
Tous les idempotents indécomposables sont donc de cette forme et les idempotents
de cette forme sont tous indécomposables.
Démonstration Soit
un idempotent de :
considérons les idempotents ,
()
et ;
comme, pour tout ,
,
on a aussi
et donc .
Mais
et on a donc l’égalité.
Ceci prouve que tous les idempotents sont sommes d’une famille finie de
et si de plus
est indécomposable, c’est donc l’un de ces idempotents.
Soit maintenant
pour ,
:
Si
est la somme d’une famille finie d’idempotents ,
chaque
étant lui même somme d’idempotents ,
peut donc s’écrire comme somme de ces idempotents.
On a nécessairement ,
pour au moins un couple ,
avec ;
on a alors nécessairement, si ,
et ,
ce qui donne
et prouve donc bien que
est indécomposable; si ,
ce qui précède montre que
appartient au sous-groupe engendré par
et d’autre part
montre réciproquement que
est dans le support de
et appartient au sous-groupe engendré par ;
on a donc encore que .
Lemme 10 On a ,
pour deux idempotents indécomposables, si et seulement si
appartient au sous-groupe engendré par
et
où
est le plus petit entier tel que .
Démonstration La condition est nécessaire puisque le coefficient de
dans
est justement .
Réciproquement
implique bien .
La proposition suivante montre qu’un idempotent admet une unique décomposition (à l’ordre près) en somme d’idempotents indécomposables, qui est la somme des indécomposables maximaux parmi ceux inférieurs à cet idempotent :
Proposition 11 Soit un idempotent de . Soient l’ensemble des idempotents et l’ensemble des tels que soit maximal dans : l’écriture est minimale et toute décomposition de en somme d’idempotents indécomposables contient ces idempotents.
Démonstration D’après la proposition précédente, il est clair que l’on a bien
.
On peut alors remarquer que
et donc qu’une écriture minimale (c’est-à-dire dont on ne peut enlever aucun
terme) comportera au plus un idempotent indécomposable défini par chaque
.
Soit alors une telle décomposition en somme d’idempotents indécomposables de
:
;
pour ,
implique qu’il existe
tel que
et ,
soit ,
ce qui par définition de
donne .
Remarque 12 Distance de Cayley :
Pour obtenir un idempotent à coefficients non nuls, il suffit de partir d’une
famille génératrice
et de considérer l’idempotent
ou, plus généralement, l’idempotent
où
est définie sur .
On a alors
où
est ici la fonction longueur prolongée à
en posant .
Par exemple, pour
si l’on prend pour
la classe des transpositions, la longueur d’une transposition est la longueur de sa
décomposition minimale en produit de transpositions et la distance associée est
la distance de Cayley.
La distance de Hamming s’obtient de même à partir de la famille génératrice
composée des cycles, mais avec
égal à la longueur du cycle :
la distance à l’unité d’un cycle pour la distance de Hamming est égale à la
longueur du cycle et pour une permutation le nombre d’éléments déplacés est
inférieur ou égal à la somme des longueurs des cycles; le minimum de cette
somme est donc obtenue avec la décomposition en produit de cycles de supports
disjoints et est bien égal à la distance de Hamming entre cette transposition et
l’identité.
Corollaire 13 En posant
si
est dans le sous-groupe engendré par ,
et
sinon, on obtient donc une famille de fonctions longueurs à valeurs entières (et
donc de métriques invariantes associées) telle que toute fonction longueur puisse
s’écrire comme minimum d’au plus
fonctions longueurs ,
.
est la fonction longueur associée au graphe de Cayley du sous-groupe monogène
engendré par .
Remarque 14 Pour , l’écriture minimale de l’idempotent donnée par la décomposition en idempotents indécomposables obtenue ci-dessus s’obtient en gardant les tels que engendre un sous-groupe cyclique maximal, puisque si engendre le sous-groupe , ; cette décomposition est donc équivalente à l’écriture de comme réunion de ses sous-groupes cycliques maximaux (en effet équivaut à ) ([CMN13] ou [LG16]).
3 Centre de l’algèbre et caractères
Soient un
groupe fini et
un semi-corps idempotent totalement ordonné.
Le centre de ce semi-anneau
est engendré comme habituellement par les éléments
, où
est une classe de
conjugaison de
(puisque pour
et pour tout ,
, ce qui
implique que les coefficients de deux éléments conjugués sont les mèmes). C’est donc encore
un -module
libre de dimension le nombre de classes de conjugaison de
.
La base ,
duale de la base
de , est donc
une base de l’ensemble des fonctions centrales (i.e. constantes sur les classes de conjugaison) sur
à valeurs
dans . Un
idempotent
est central si et seulement si la fonction idempotente associée
, (telle donc
que )
est centrale (i.e. constante sur les classes de conjugaison) et on peut alors écrire
, oû
parcourt l’ensemble des
classes de conjugaison de .
Définition 15 Une fonction centrale idempotente (pour le produit de convolution)
sera appelée caractère idempotent de .
Remarque 16
Un caractère idempotent
définit donc un idempotent central de l’algèbre de groupe .
La valeur en
du caractère
est la trace de l’endomorphisme de ,
(multiplication par ) :
ce qui correspond dans le cas classique au fait que le caractère considéré est la
trace de la représentation sur ,
sous-représentation de la représentation régulière.
On appellera
le nombre de classes de conjugaison distinctes de
, qui est donc aussi la
dimension du centre
de .
Définition 17 Un idempotent
est dit irréductible s’il est central et s’il n’est pas la somme d’une famille finie
d’idempotents centraux strictement inférieurs :
i.e. si ,
où les
sont des idempotents centraux et ,
implique que ,
pour au moins un .
On dira de même qu’un caractère idempotent est irréductible si l’idempotent
associé l’est, c’est à dire que, s’il est la somme d’autres caractères idempotents, il
doit être égal à l’un d’eux.
Nous allons montrer que ces idempotents irréductibles, permettent d’obtenir tous les caractères idempotents et donc tous les idempotents centraux de , et se classent en familles indexées par dans , attachées aux classes de conjugaison de :
Proposition 18 Soit
la classe de conjugaison réduite à l’élément neutre de .
1) Pour toute classe de conjugaison
de ,
la suite
est croissante et stationnaire à partir d’un rang .
2) Pour toute classe de conjugaison
de
et tout ,
la série
converge et .
est un idempotent central de ,
de caractère associé
(l’étoile s’entendant ici au sens du produit de convolution des fonctions centrales
sur ).
3) Tous les idempotents centraux sont sommes d’une famille finie d’idempotents
,
parcourant les classes de conjugaison de ,
.
Tous les idempotents irréductibles sont donc de cette forme et les idempotents de
cette forme sont tous irréductibles.
4) La décomposition minimale d’un idempotent central en somme d’irréductibles
est unique (à l’ordre près).
Démonstration
1) Pour tout ,
est une réunion de classes de conjugaison : soit
le nombre de ces classes. La suite
est croissante et stationne dès que deux termes consécutifs sont égaux; il en est
donc de même de la suite .
Dans le cas non trivial où ,
et ,
le résultat est clair.
2) La convergence résulte du a) et le reste de l’assertion se vérifie de manière
élémentaire.
3) La preuve est analogue à celle concernant les idempotents indécomposables :
Soit
un idempotent central de :
considérons les idempotents
et ;
comme, pour toute classe ,
,
on a aussi
et donc .
Mais
et on a donc l’égalité.
Ceci prouve que tous les idempotents centraux sont sommes des
et si de plus
est irréductible, c’est donc l’un de ces idempotents.
Soit
pour ,
désignant une classe de conjugaison de .
Si
est la somme d’une famille finie d’idempotents centraux, chacun étant lui même
somme d’idempotents associés à des classes de conjugaisons, il suffit donc, ici
encore, de considérer une décomposition
et de montrer que l’un de ces idempotents est nécessairement égal à :
on a donc pour ,
pour au moins un
et un
tel que ;
on a d’autre part .
D’où, si ,
,
soit
et ,
ce qui donne le résultat. Si ,
ce qui précède montre que
est incluse dans le sous-groupe
engendré par .
L’inclusion de
dans le sous-groupe
est donné par l’inégalité .
L’égalité des sous-groupes équivaut ici à l’égalité des idempotents.
4) L’unicité se démontre aussi en suivant la même méthode que pour la
décomposition en indécomposables :
on peut d’abord remarquer que
et donc qu’une écriture minimale comportera au plus un idempotent irréductible
défini par chaque classe .
D’autre part on a encore
si et seulement si il existe
tel que
et .
L’écriture minimale de
s’obtient en prenant uniquement la somme des
maximaux dans la famille.
Remarque 19
Pour ,
la décomposition de l’idempotent
obtenue ci-dessus revient à écrire le groupe
comme réunion de sous-groupes normaux engendrés par certaines classes de
conjugaisons, et ces sous-groupes seront propres si aucune classe de conjugaisons
n’engendre le groupe. Un groupe sera donc "anti-simple" si et seulement l’idempotent
n’est pas irréductible ([Bha09]).
La proposition précédente permet aussi de donner une caractérisation simple des idempotents irréductibles, qui ne sont pas de la forme pour un sous-groupe de :
Proposition 20 1) Si
et
sont deux idempotents centraux,
est un idempotent si et seulement si .
2) Un idempotent ,
tel que ,
est irréductible s’il est central et vérifie la condition :
où
et
sont deux idempotents centraux implique
ou .
Démonstration 1) Comme les idempotents sont tous supérieurs à ,
est un idempotent (car
et
sont centraux) supérieur à .
Or .
2) Supposons vérifiée la condition du 2) : si :
on a de même ,
d’où
ou
et on a donc le résultat par itération.
Réciproquement il suffit, d’après la proposition précédente, de montrer que
les
vérifient cette condition, soit donc que
où
et
sont deux idempotents centraux, implique
ou :
or on peut écrire
et ,
où les
sont les
classes de conjugaisons et les ,
des scalaires inférieurs à .
De l’égalité
et de
on tire aisément ,
soit .
On peut donc supposer qu’il existe un
tel que
est maximal (quitte à intervertir
et )
ce qui implique aussi, puisque ,
et donne bien finalement .
Exemple 21 Mais d’autre part une somme d’idempotents irréductibles n’est pas
nécessairement un idempotent :
En prenant pour
le groupe à 4 éléments ,
avec donc
et ,
et
sont bien deux idempotents irréductibles et
n’est pas un idempotent.
Pour remédier à cet état de fait et obtenir une construction directe des idempotents centraux à partir des irréductibles, on peut utiliser d’après ce qui précède le produit au lieu de la somme (le produit de deux idempotents centraux étant bien lui un idempotent) :
Proposition 22 Les idempotents centraux sont exactement les produits
d’idempotents irréductibles.
Démonstration En effet si est un idempotent central, on a vu que était somme d’une famille finie d’idempotents irréductibles, , et pour tout ,ce qui implique et ce produit étant supérieur à la somme est bien aussi plus grand que .
Remarque 23 1) Il y a donc
familles d’idempotents irréductibles, données par
familles de caractères irréductibles, pour un groupe
ayant
classes de conjugaison. L’idempotent
qui correspond à la classe de l’élément neutre, s’obtient aussi en faisant
dans une de ces familles, si le groupe n’est pas réduit à un élément .
2) Les idempotents centraux de ,
et donc les distances bi-invariantes sur ,
forment un treillis pour la relation d’ordre usuelle (sur un semi-anneau idempotent)
si
et donc ,
puisque les idempotents sont supérieurs à .
équivaut donc à ;
cet ordre est donc l’opposé de celui défini par l’inclusion (à l’inverse du cas
classique où
indique que
se décompose en ) :
Le sup de
et
est en effet
(puisque ,
et ,
implique )
et l’inf est
si
et ,
(puisque
ainsi défini est bien un idempotent inférieur à
et
et que
et
implique ).
3.3 Calcul des caractères irréductibles
Proposition 24 Soit
une classe de conjugaison d’un groupe fini
et .
On définit, pour
appartenant à la classe de conjugaison ,
comme le plus petit entier tel qu’un élément
appartienne à la réunion de classes ,
s’il existe, sinon on pose .
On a alors pour tout ,
,
et donc : .
(avec les conventions ,
et donc
pour toute classe ,
et ,
si ).
Démonstration La proposition découle du calcul de :
le coefficient de
dans cette somme est en effet
où
est le premier indice tel que .
Remarque 25 1) Si
n’est pas la classe de ,
les
finis sont donc tous inférieurs ou égaux à .
2) En posant, pour chaque classe de conjugaison ,
,
si
est dans le sous-groupe engendré par
et
sinon, on obtient donc une famille de fonctions longueurs à valeurs entières,
centrales, (et donc de distances bi-invariantes associées) telle que toute fonction
longueur centrale puisse s’écrire comme infimum d’au plus
fonctions longueurs ,
.
Exemple 26 Pour (ou ), et les classes sont réduites à un élément et les deux familles d’idempotents irréductibles sont les familles , et , pour .
Exemple 27 Pour
cyclique d’ordre
engendré par ,
les classes sont aussi réduites à un élément et les trois familles d’idempotents
irréductibles sont : ,
,
et ,
pour .
Exemple 28 Pour ,
en notant
la transposition ,
les classes sont ,
,
et les éléments centraux correspondants ,
,
.
Un calcul facile donne donc ici les deux familles d’idempotents centraux correspondant
aux éléments de base : .
Exemple 29 Pour ,
il y a 4 classes de conjugaison, ,
formée des produits de deux transpositions de supports disjoints, et deux classes
et
formées des 3-cycles,
étant composée des inverses des éléments de
et vérifiant ,
,
.
Il y a donc aussi 4 éléments dans la base associée du centre qui seront notés
pour .
Les familles d’idempotents irréductibles associées à ces classes sont :
et .
Exemple 30 Pour ,
il y a 5 classes de conjugaison (dont 3 dans ) :
,
formée des produits de deux transpositions de supports disjoints,
formée des cycles de longueur 3,
formée des transpositions et
des cycles de longueur 4.
Il y a donc aussi 5 éléments dans la base associée du centre qui seront notés
pour éviter la confusion avec les éléments centraux de ,
qui ne le sont plus dans
(
donc).
Les 4 familles d’idempotents correspondantes sont :
,
,
,
.
A noter que
qui est donc irréductible dans ,
ne l’est pas dans .
Remarque 31 On peut voir facilement que la distance de Cayley sur
est définie par le caractère associé à la classe des transpositions, et donc dans
cet exemple,à
et à l’idempotent ;
par contre la distance de Hamming n’est pas "irréductible"; elle est associée sur
à l’idempotent central
et donc définie à partir de la distance à l’identité des cycles, égale à leurs
longueurs. Une décomposition minimale de cet idempotent est .
Exemple 32 Soit
le groupe des quaternions.
Les classes de conjugaison en sont : ,
,
,
et .
En notant
pour ,
les familles d’idempotents irréductibles associées aux classes sont :
,
,
,
.
5 Idempotents et caractères symétriques
Les fonctions coordonnées "symétriques" i.e. vérifiant correspondent aux fonctions longueurs symétriques et donc aux "métriques symétriques". Dans le cas de les fonctions coordonnées, et donc les caractères centraux, sont tous symétriques car et sont toujours conjugués ( et ayant même formule). Les distances faibles sont donc toutes des distances.
Pour (exemple 1) ce sont ceux qui vérifient . Il ne sont donc pas en général irréductibles, sauf et .
En général les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents symétriques minimaux :
Proposition 33 1) Les idempotents
sont symétriques et tous les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents
.
2) .
Démonstration 1) En effet si
est un idempotent symétrique et
alors
et donc .
2) ,
assurant que les autres termes sont plus petits.
Plus généralement si est une
famille génératrice du groupe ,
l’idempotent est un
idempotent symétrique si
l’est et
pour tout .
Pour une classe de conjugaison ,
on notera la
classe des
pour ;
on peut alors donner une famille génératrice d’idempotents "symétriques
irréductibles" :
Proposition 34 Les idempotents centraux sont symétriques et tous les idempotents symétriques sont sommes d’idempotents .
Démonstration En effet si est un idempotent central symétrique, on a , d’où et donc .
Remarque 35 1) En général .
2) Si l’on regarde les distances classiques invariantes d’un seul côté sur
(cf. [Dia88]), associées donc à l’idempotent :
- la distance
dite "Kendall’s tau", qui compte le nombre minimal de transpositions adjacentes
dans la décomposition d’une permutation, est définie par la famille génératrice
des ,
et donc par l’idempotent .
- la distance
dite "Footrule" sur
qui provient de la norme 1, ()
est aussi définie à partir de la distance à l’identité des permutations et est donc
associée à l’idempotent .
- on peut vérifier que la distance
de Ulam sur ,
qui pour
vaut
moins la longueur maximale d’une sous-suite croissante dans la famille ,
correspond elle à l’idempotent ,
c’est à dire qu’elle est entièrement déterminée par les éléments dont la
distance à l’identité est
(pour lesquels il existe donc une suite croissante de 3 éléments dans l’image).
On peut constater que les familles génératrices considérées sont bien symétriques
et que pour la distance de Cayley, il s’agit bien d’une classe de conjugaison de
.
On peut voir aussi que pour toutes ces distances usuelles, les transpositions
ont une distance à l’identité égale à
et qu’elles sont donc toutes inférieures à la distance de Kendall; en termes
d’algèbre de groupe cela se traduit par le fait que l’idempotent
associé à la distance de Kendall est inférieur à celui associé à chacune des
autres distances, qui appartient donc toujours à l’idéal :
si ,
on a
(puisque )
et donc bien ;
ceci peut s’interpréter, par analogie avec le cas classique, en disant que ces distances
sont associées à des sous-représentations de la représentation associée à la
distance de Kendall.
6 Extension aux groupes infinis
Le semi-corps de base est ici le semi-corps des réels positifs max-plus
(l’ordre
de est
donc l’ordre usuel).
Une partie des résultats précédents se généralise aux groupes infinis; en
particulier le lien entre les fonctions idempotentes et les distances invariantes subsiste,
ainsi que la décomposition des fonctions idempotentes en sommes (i.e. sup) de
fonctions élémentaires :
soit un groupe; l’espace
des toutes les fonctions de
dans
(dual de l’algèbre de groupe dans le cas fini) sera ici remplacé par l’espace des
fonctions majorées :
Remarque 36
En prenant comme semi-corps de base le semi-corps des réels min-plus ,
l’ordre est inversé par rapport à l’ordre usuel et il faudrait donc considérer
l’espace des fonctions minorées (pour l’ordre usuel).
Définition 37 Soit
un groupe et
le semi-corps .
1)
désignera l’ensemble des fonctions majorées de
dans .
2) On notera
la fonction de Dirac en
(valant
sur
et
ailleurs).
Proposition 38 1)
est muni du produit de convolution.
2) Soit
la fonction définie sur
par .
La fonction
est multiplicative.
Démonstration
1) En effet le
est fini pour tout
et majoré car pour tout ,
,
si
est majorée par
et
par .
2) Soient
et
deux éléments de
et
et
deux suites d’éléments de
telles que les suites ,
)
tendent respectivement vers
et .
La suite
tend vers
en étant majorée par .
L’autre inégalité est triviale.
Définition 39 Soit
un groupe.
1) On appelera idempotent de
une fonction idempotente de
(pour le produit de convolution), valant
sur
(i.e. égale à son étoile de Kleene).
2) Un caractère de
est un idempotent de
central sur
(i.e. invariant sur les classes de conjugaison de )
.
Proposition 40 1) Pour
et ,
les fonctions ,
sont des idempotents de .
2) Un idempotent de
est à valeurs dans .
3) Pour deux idempotents de ,
et ,
.
Démonstration 1) Ces fonctions sont clairement bornées et idempotentes et
valent bien
sur .
2) Soit
une fonction idempotente non nulle; on a donc
d’où
puisque
ne peut être ni nul ni infini.
3) Ceci résulte aisément de ce que .
Remarque 41 Les idempotents de , correspondent donc encore aux fonctions longueurs sur , par (et directement en prenant comme corps de base ).
On obtient comme dans le cas fini une décomposition en somme (ici infinie) d’idempotents élémentaires :
Proposition 42 Soit
un groupe.
Tous les idempotents sont sommes d’une famille d’idempotents ,
pour une famille ,
avec
pour tout .
Démonstration Soit
un idempotent de :
considérons les idempotents ,
()
et ;
comme, pour tout ,
,
on a aussi
et donc .
Mais
et on a donc l’égalité. Ceci prouve que tous les idempotents sont sommes des
.
6.2 Groupes topologiques séparés
Dans le cas des groupes dénombrables on obtient donc une décomposition des idempotents
de en
sommes dénombrables d’idempotents élémentaires. Nous indiquons ci-dessous
comment on peut généraliser ces décompositions “hilbertiennes” au cas des groupes
topologiques séparés, pour les fonctions idempotentes correspondant aux métriques
dont les boules sont compactes.
Définition 43 Soit
un groupe topologique séparé et
le semi-corps .
1) Soit
une fonction de
dans .
On dira que
tend vers
à l’infini si et seulement si pour tout ,
est compact.
On notera
le sous-espace de
des fonctions tendant vers zéro à l’infini.
2) Pour une partie
de ,
on notera
la fonction valant 1 sur
et
ailleurs.
Proposition 44 1) Les fonctions tendant vers zéro à l’infini sont semi-continues
supérieurement et sont donc aussi bornées sur .
2) Pour tout
et toute partie compacte
de ,
la fonction ,
est un idempotent de .
3) Toute fonction
idempotente (non nulle) vérifie
et est donc un idempotent de ,
au sens ci-dessus.
Démonstration
1) Comme pour tout ,
est compact et donc fermé et ,
est bien semi-continue supérieurement. Soit alors ;
étant semi-continue supérieurement est majorée sur
et donc sur .
2) Comme ,
pour tout ,
la partie
est une réunion finie de produits finis de compacts et est donc compacte et
fermée.
Les fonctions
définies ci-dessus, tendent donc vers 0 à l’infini et appartiennent bien à .
3) Puisque
tend vers zéro à l’infini il existe un compact
tel que
et comme
est semi-continue supérieurement ce sup est atteint sur :
il existe donc un
tel que .
est alors une partie de ,
non vide, stable (puisque
étant idempotente on a )
et compacte par hypothèse : on peut alors extraire de la suite
d’éléments de
une sous-suite convergente
et la suite
est alors une suite d’éléments de
qui converge vers .;
appartient donc à
et on a bien .
Remarque 45 1) Si
est un groupe compact les fonctions semi-continues supérieurement sont bornées
et tendent vers
à l’infini.
2) Les fonctions
sont semi-continues supérieurement, mais ne sont pas en général continues : si
est d’ordre infini, on peut construire comme ci-dessus une suite
convergeant vers
alors que, avec
et ,
la suite de terme général
converge vers 0.
3) Les fonctions
sont symétriques si
l’est et centrales si
est réunion de classes de conjugaison.
4) Si
est une fonction idempotente symétrique, on obtient facilement que
et ainsi le lien avec les fonctions longueurs (symétriques), en remarquant que
,
pour tout .
5) Les idempotents de
correspondent aux métriques invariantes sur
dont les boules sont compactes.
On peut encore obtenir à partir de ces idempotents une décomposition en somme dénombrable des idempotents de :
Proposition 46 Soit
un groupe topologique séparé.
1) Pour tout idempotent
de ,
il existe une famille dénombrable de parties compactes
et une suite
d’éléments de
telles que .
2) Tout caractère de
est somme d’une famille dénombrable de caractères .
Démonstration
1) Soit
une partie dénombrable de ,
dense dans :
on considère les ,
non vides qui sont bien des parties compactes de ,
par hypothèse.
est alors égal à :
Il est clair que
et donc
pour tout ,
(puisque );
on a ainsi .
Pour ,
et tout ,
il existe un
tel que ;
on a alors .
On a donc )
pour chaque
et finalement donc l’autre inégalité.
On a donc bien .
2) Si de plus
est centrale, les
sont compactes (car
tend vers 0 à l’infini), stables par conjugaisons et donc réunions de classes. Les
idempotents
sont donc bien aussi centraux.
Remarque 47 1) On peut donc associer à un compact
de
la métrique invariante élémentaire ,
telle que
si .
est une distance si
est réunion de classes et si la réunion des puissances de
recouvre tout le groupe.
2) Si le groupe est localement compact, muni d’une distance invariante ,
celle-ci est donc donnée par une fonction
qui appartient à
et se décompose donc en somme de fonctions élémentaires :
la distance est donc, elle, l’inf de la famille de métriques élémentaires associées.
Acknowledgements Le rapporteur a contribué par ses conseils et suggestions à
l’enrichissement de cet article, en particulier de la partie sur les groupes infinis, et à sa
lisibilité par sa relecture attentive.
Le premier auteur souhaite aussi particulièrement remercier l’équipe Max-Plus pour ses
invitations répétées et son hospitalité.
Références
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