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Formulation homogénéisée

Comme on l'a déjà dit dans l'introduction, il est maintenant bien connu (depuis les premiers contre-exemples de [23] et les constatations numériques de [13]), qu'en l'absence de contraintes supplémentaires sur les formes admissibles $\omega$, la fonction objectif $E(\omega)$ peut ne pas atteindre son minimum, c'est-à-dire qu'il n'existe pas de forme optimale. La raison mécanique de ce phénomène générique de non-existence est qu'il est souvent avantageux de faire beaucoup de très petits trous (plutôt que quelques grand trous) dans une structure donnée afin d'améliorer sa performance par rapport à la fonction $E(\omega)$. Par conséquent, atteindre le minimum peut faire appel à un processus de passage à la limite (lorsque les trous deviennent de plus en plus petits et de plus en plus nombreux) conduisant à une forme ``généralisée'' (ou homogénéisée) qui est un matériau composite obtenu par microperforation du matériau élastique d'origine.

Afin de prendre en compte ce phénomène mécanique d'optimalité qui n'est pas réalisée par une forme, stricto sensu, mais par un matériau composite, nous devons élargir l'espace des formes admissibles en autorisant, dès le départ, les matériaux composites obtenus par homogénéisation d'un mélange fin du matériau et de vide. Une telle structure composite est déterminée par deux fonctions: $\theta(x)$, sa densité volumique locale de matériau (prenant ses valeurs entre $0$ et $1$), et $A^*(x)$, sa loi de Hooke effective correspondant à sa microstructure. Bien entendu, il faut aussi trouver une définition adéquate de la fonction objective homogénéisée $\tilde E (\theta,A^*)$ qui généralise $E(\omega)$ pour ces structures composites.

Ce procédé de généralisation des formes admissibles est appelé relaxation, ou, dans ce cas particulier, homogénéisation. Il est essentiel de noter que cette relaxation ne change pas la physique du problème. En effet, une forme optimale composite est simplement une moyenne (ou une équivalence en un certain sens) de formes classiques proches de l'optimalité. Mathématiquement, une forme composite optimale n'est que la limite au sens de l'homogénéisation d'une suite minimisante de formes classiques. Intrinsèquement, le problème d'optimisation de formes n'est donc pas modifié. En particulier, toute solution possible du problème original est aussi solution du problème homogénéisé. Pour calculer cette formulation relaxée ou homogénéisée de l'optimisation de formes, on fait appel à la théorie de l'homogénéisation (voir par exemple [10], [28]). L'objectif final est double : d'une part prouver un résultat d'existence pour la formulation relaxée du problème d'optimisation de forme, et d'autre part trouver un nouvel algorithme numérique pour le calcul des formes optimales.

L'utilisation de l'homogénéisation dans ce contexte est assez technique (notamment à cause de la dégénérescence du problème causée par la présence de trous), et nous nous contentons de donner le résultat obtenu (pour plus de détails voir [3], [4]). On note $G_\theta$ l'ensemble de toutes les lois de Hooke correspondant à des matériaux composites de densité $\theta$, c'est-à-dire obtenus en perforant le matériau original $A$ par des trous en proportions $(1-\theta)$. La fonctionnelle homogénéisée ou relaxée est alors donnée par

\begin{displaymath}
\min_{\scriptstyle 0\leq\theta\leq 1 \atop \scriptstyle A^*\...
...de c(\theta,A^*) + \lambda \int_\Omega \theta(x) dx \right\} .
\end{displaymath} (6)

$\tilde c(\theta,A^*)$ est la compliance associée au problème homogénéisé d'élasticité dans le domaine $\Omega$ pour le tenseur effectif $A^*$. Rappelons que, comme dans (5), cette compliance s'écrit comme le minimum de l'énergie élastique complémentaire
\begin{displaymath}
\tilde c(\theta,A^*) = \min_{\scriptstyle {\rm div \;}\sigma...
...al \Omega}
\int_{\Omega} A^*(x)^{-1} \sigma \cdot \sigma dx .
\end{displaymath} (7)

Cette formulation relaxée n'est pas encore entièrement explicite puisque la définition précise de l'ensemble $G_\theta$ est inconnue ! Cependant, le choix particulier de la compliance dans la fonction objectif permet de la minimiser explicitement en $A^*$. Remarquons tout d'abord que l'ordre des minimisations en $\sigma$ et $(\theta,A^*)$ est indifférent et que, l'homogénéisation étant un phénomène local, la minimisation en $(\theta,A^*)$ est à effectuer de façon indépendante en chaque point $x$ du domaine. On peut alors réécrire (6) sous la forme

\begin{displaymath}
\min_{\scriptstyle 0\leq\theta\leq 1 \atop \scriptstyle A^*\...
...-1} \sigma \cdot \sigma + \lambda \theta \right) dx \right\} .
\end{displaymath}

Or, pour un tenseur des contraintes admissible fixé, $\sigma$, la minimisation de l'énergie complémentaire $A^{*-1} \sigma \cdot \sigma$ sur $G_\theta$ est un problème classique en homogénéisation qu'on désigne sous le nom de problème de bornes optimales sur les propriétés effectives des matériaux composites. Il existe une vaste litérature sur ce sujet : citons entre autres [5], [6], [15], [16], [17], [22], et leurs références. Décrivons brièvement la solution de cette optimisation locale. On désigne par $L_\theta$ une classe particulière de matériaux composites dans $G_\theta$ qu'on appelle les laminés séquentiels. Ces matériaux sont obtenus par mise en couches successives du matériau $A$ et du vide dans des directions et avec des proportions données (voir figure 1). Dans ce processus $A$ joue le rôle d'une matrice et le vide celui d'inclusions ou de trous. L'intérêt essentiel de ces matériaux laminés séquentiels est que leur loi de Hooke est donnée par une formule explicite (cf. [15]). Soit $p\geq1$ le rang du laminé (c'est-à-dire le nombre de laminations successives qu'il faut faire pour le construire), soient $(e_i)_{1\leq i\leq p}$ les vecteurs de directions des laminations, et soient $(m_i)_{1\leq i\leq p}$, tels que $0\leq m_i\leq 1$ et $\sum_{i=1}^{p} m_i =1$, les proportions du matériau $A$ à chaque étape de lamination. La loi de Hooke $A^*$ de ce laminé séquentiel de rang $p$ est donnée par

\begin{displaymath}
{A^*}^{-1} = A^{-1} + \frac{1-\theta}{\theta} \left(
\sum_{i=1}^p m_i f_A^c (e_i) \right)^{-1} ,
\end{displaymath}

$f_A^c (e_i )$ est un tenseur d'ordre 4 défini, pour toute matrice $\xi$, par la forme quadratique

\begin{displaymath}
f_A^c (e_i) \xi\cdot\xi = A \xi\cdot\xi - \frac{1}{\mu} \ver...
...mu+\lambda}{\mu(2\mu + \lambda)} ( (A \xi) e_i \cdot e_i )^2 ,
\end{displaymath}

avec $(\mu,\lambda=\kappa-2\mu/N)$ les coefficients de Lamé de $A$. On a alors

\begin{displaymath}
\min_{A^*\in G_\theta} A^{*-1} \sigma \cdot \sigma \ = \
\min_{A^*\in L_\theta} A^{*-1} \sigma \cdot \sigma ,
\end{displaymath}

et le laminé séquentiel optimal est de rang $N$ (la dimension d'espace) avec comme directions de lamination les directions principales $(e_i)_{1\leq i\leq N}$ du tenseur $\sigma$. Si on note $(\sigma_i)_{1\leq i\leq N}$ les valeurs propres du tenseur $\sigma$, alors les proportions du laminé optimal sont en 2-D
\begin{displaymath}
m_1 = \frac{\vert \sigma_2 \vert} {\vert \sigma_1 \vert + \v...
...sigma_1 \vert}{\vert \sigma_1 \vert + \vert \sigma_2 \vert} ,
\end{displaymath} (8)

et en 3-D, en ordonnant les valeurs propres de $\sigma$ de telle façon que $\vert \sigma_1 \vert \leq \vert \sigma_2 \vert \leq \vert \sigma_3 \vert$, et en supposant que $\lambda=0$ pour simplifier l'exposition,
\begin{displaymath}
m_1 = \frac{\vert \sigma_3 \vert + \vert \sigma_2 \vert - \v...
...sigma_1 \vert + \vert \sigma_2 \vert + \vert \sigma_3 \vert} ,
\end{displaymath} (9)

si $\vert \sigma_3 \vert \leq \vert \sigma_1 \vert + \vert \sigma_2 \vert$, et sinon
\begin{displaymath}
m_1 = \frac{\vert \sigma_2 \vert}{\vert \sigma_1 \vert + \ve...
...{\vert \sigma_1 \vert + \vert \sigma_2 \vert} ,\;\;
m_3 =0 .
\end{displaymath} (10)

La microstructure laminée optimale s'aligne automatiquement avec les directions principales du tenseur des contraintes. On retrouve ainsi des principes mécaniques bien connus comme celui d'optimalité des structures réticulées de Michell [21]. On peut en fait montrer que la théorie des treillis de barres de Michell [21] (cf. par exemple [27] pour une présentation moderne de cette théorie) est un cas limite de la méthode d'homogénéisation en 2-D lorsque le volume de matière tends vers zéro.

Figure 1: Microstructure d'un composite laminé séquentiel de rang 2. Le matériau est en clair, les trous sont foncés.
\begin{figure}\centerline{
\hbox{
\psfig{figure=lamine.eps,width=0.5\textwidth}%
}}\end{figure}

Après cette étape cruciale, la minimisation par rapport à la densité $\theta$ est aisément faite à la main, ce qui termine le calcul explicite des paramètres de la forme composite optimale pour un tenseur de contraintes donné $\sigma$. Citons simplement pour l'exemple la valeur optimale de la densité en 2-D

\begin{displaymath}
\theta_{opt} = \min\left( 1, \sqrt{\frac{\kappa+\mu}{4\mu\ka...
... \vert \sigma_1 \vert + \vert \sigma_2 \vert \right) \right) .
\end{displaymath} (11)

Seule la minimisation en $\sigma$ reste à faire numériquement par une méthode d'éléments finis. On peut alors démontrer le théorème suivant (cf. [4] pour le cas $2$-D, et [3] pour le cas $3$-D)

Théorème La formulation homogénéisée (6) est la relaxation du problème d'optimisation de formes (4) au sens où, (i) il existe, au moins, une forme optimale composite $(\theta,A^*)$ qui minimise (6), (ii) toute suite minimisante de formes classiques $\omega$ pour (4) converge, au sens de l'homogénéisation, vers un minimisateur $(\theta,A^*)$ de (6), (iii) les valeurs des minima de l'énergie originale et homogénéisée coincident

\begin{displaymath}
\inf_{\omega \subset \Omega} E(\omega) = \min_{\scriptstyle ...
...\atop \scriptstyle 0\leq\theta\leq 1} \tilde E (\theta,A^*) .
\end{displaymath}


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Gregoire Allaire 2005-06-06