RAPPORT D'ACTIVITÉ 2000




Curriculum vitæ


Garnier Josselin
Téléphone : 01 69 33 46 30
Chargé de Recherche CNRS CR2
Centre de Mathématiques Appliquées
UMR CNRS 7641
Ecole Polytechnique
91128 Palaiseau Cedex

E-mail : Josselin.Garnier@polytechnique.fr


Titres universitaires

1. Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure (1991-1996).

2. Doctorat, Ecole Polytechnique (18 décembre 1996).
Spécialité Modélisation Stochastique et Statistique.
Titre : Ondes en milieux aléatoires, sous la direction de Jean-Pierre Fouque.
Rapporteurs : S. Olla, G. Papanicolaou.
Président du jury : J. Neveu.

3. Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Paris VI (31 janvier 2000).
Spécialité Mathématiques Appliquées.
Titre : Contributions à l'étude des phénomènes de propagation d'ondes en milieux complexes.
Rapporteurs : R. Carmona, G. Papanicolaou, E. Pardoux.
Président du jury : J. Jacod.


Thèmes de recherche

Ondes en milieux aléatoires.
Compétition entre des effets non-linéaires et aléatoires dans des phénomènes de propagation d'ondes.
Dynamique en temps longs de systèmes en milieux aléatoires.


Projets de recherche en cours

1. Solitons en milieux aléatoires.
2. Instabilité modulationnelle pour l'équation de Schrödinger vectorielle.
3. Etude des solitons à gestion de dispersion.
4. Conversion de fréquences de faisceaux lasers partiellement cohérents.
5. Modélisation de la croissance Laplacienne de dendrites.


Encadrement de thèses

Jean-Philippe Ayanidès (1997-) : thèse financée par le CEA sur la ``propagation de faisceaux laser partiellement cohérents''.


Enseignement

Etablissement : ENSTA
Discipline : Probabilités - Statistiques
Niveau : première année d'Ecole d'Ingénieur


Administration de la recherche

1. Secrétaire scientifique du GdR POAN (Propagation des Ondes en milieux Aléatoires et/ou Non-linéaires) d'octobre 1996 à décembre 1998.
Création et gestion d'un serveur Web pour le GdR à l'adresse : http://www.poan.polytechnique.fr.
Même travail pour le GdR PRIMA (Unité CNRS GdR G1847) (PRopagation et Imagerie en Milieu Aléatoire) depuis janvier 1999.
Responsable du thème ``non-linéaire et aléatoire''au sein du GdR PRIMA.

2. Organisation d'une Ecole à Cargèse du 3 au 9 septembre 2000 intitulée ``Propagation des Ondes en Milieux Non-linéaires et Diffusifs''. Cette Ecole est parrainée par la DGA (Direction des Systèmes de forces et de la Prospectives), le Ministère de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie (Mission Scientifique Universitaire) et le Ministère des Affaires Etrangères (Direction de la Coopération Scientifique, Universitaire et de la Recherche).

3. Mise en place d'un séminaire intitulé ``Propagation d'Ondes dans les Matériaux Complexes'' au Centre de Mathématiques Appliquées avec H. Ammari et E. Bonnetier.


Valorisation

- Contrat d'Etudes (16 avril 1997 - 15 avril 1998) avec le CEA/DAM Centre d'Etudes de Limeil-Valenton sur : Modélisation et simulation de la propagation non-linéaire de faisceaux partiellement cohérents.
- Contrat d'Etudes (16 septembre 1998 - 15 septembre 1999) avec le CEA/DAM Centre d'Etudes de Limeil-Valenton sur : Modélisation de la conversion de fréquences pour l'optimisation des lasers de haute puissance.
- Contrat d'Etudes (30 septembre 1999 - 30 septembre 2000) avec le CEA/DAM Centre d'Etudes Scientifiques et Techniques d'Aquitaine sur : Etude statistique du lissage optique et de l'effet cascade pour génerer une impulsion incohérente en phase.
- Projet ``Jeune Equipe'' du Ministère, en cours, avec H. Ammari.


PUBLICATIONS

Habilitation à Diriger des Recherches

1. J. Garnier, Contributions à l'étude des phénomènes de propagation d'ondes en milieux complexes, Université de Paris VI (31 janvier 2000).


Revues avec comités de lecture

2. J. Garnier, Stochastic invariant imbedding. Application to stochastic differential equations with boundary conditions, Prob. Th. Rel. Fields 103 (1995), pp. 249-271.

3. J. Garnier, Homogenization in a periodic and time-dependent potential, SIAM, J. Appl. Math. 57 (1997), pp. 95-111.

4. J. Garnier, A multi-scaled diffusion-approximation theorem. Applications to wave propagation in random media, European Series in Applied and Industrial Mathematics, Probability & Statistics 1 (1997), pp. 183-206, consultable sur http://www.emath.fr .

5. J. Garnier, L. Videau, C. Gouédard et A. Migus, Statistical analysis of beam smoothing and some applications, J. Opt. Soc. Am. A 14 (1997), pp. 1928-1937.

6. J. Garnier, J.-P. Fouque, L. Videau, C. Gouédard et A. Migus, Amplification of broadband incoherent light in homogeneously broadened media in presence of Kerr nonlinearity, J. Opt. Soc. Am. B 14 (1997), pp. 2563-2569.

7. J. Garnier, Asymptotic transmission of solitons through random media, SIAM, J. Appl. Math. 58 (1998), pp. 1969-1995.

8. J. Garnier, L. Videau, C. Gouédard et A. Migus, Propagation and amplification of incoherent pulses in dispersive and nonlinear media, J. Opt. Soc. Am. B 15 (1998), pp. 2773-2781.

9. J. Garnier, Asymptotic behavior of the quantum harmonic oscillator driven by a random time-dependent electric field, J. Stat. Phys 93 (1998), pp. 211-241.

10. J. Garnier, L. Kallel et M. Schoenauer, Rigorous hitting times for binary mutations, Evolutionary Computation 7 (1999), pp. 173-203.

11. J. Garnier, Statistics of the hot spots of smoothed beams produced by random phase plates revisited, Phys. Plasmas 6 (1999), pp. 1601-1610.

12. J. Garnier, C. Gouédard et A. Migus, Statistics of the hottest spot of speckle patterns generated by smoothing techniques, Journal of Modern Optics 46 (1999), pp. 1213-1232.

13. L. Videau, C. Rouyer, J. Garnier et A. Migus, The motion of hot spots in smoothed beams, J. Opt. Soc. Am. A 16 (1999), pp. 1672-1681.

14. F. Kh. Abdullaev et J. Garnier, Modulational instability in birefringent fibers with periodic and random dispersion, Phys. Rev. E. 60 (1999), pp. 1042-1050.

15. F. Kh. Abdullaev et J. Garnier, Solitons in media with random dispersive perturbations, Physica D 134 (1999), pp. 303-315.

16. J. Garnier, Energy distribution of the quantum harmonic oscillator under random time-dependent perturbations, Phys. Rev. E. 60 (1999), pp. 3676-3687.

17. J. Garnier, Light propagation in square law media with random imperfections, Wave Motion 31 (2000), pp. 1-19.

18. J. Garnier et L. Kallel, Statistical distribution of the convergence time of evolutionary algorithms for longpath problems, à paraître dans IEEE Transactions on Evolutionay Computation.

19. J. Garnier, C. Gouédard et L. Videau, Propagation of a partially coherent beam under the interaction of small and large scales, à paraître dans Opt. Commun.

20. L. Videau, C. Rouyer, J. Garnier et A. Migus, Generation of a pure phase modulated pulse by cascading effect. A theoretical approach, à paraître dans J. Opt. Soc. Am. A.


Actes de congrès avec comités de lecture

J. Garnier et J.-P. Fouque, Amplification of incoherent light with wide spectrum, Proceedings de la Troisième Conférence Internationale sur les Aspects Mathématiques et Numériques des Phénomènes de Propagation d'Ondes, édités par G. Cohen, SIAM-INRIA, 1995, pp. 584-593.

J.-P. Fouque et J. Garnier, On waves in random media in the diffusion-approximation regime Proceedings de la conférence Waves in Random and other Complex Media, édités par R. Burridge, G. Papanicolaou et L. Pastur, IMA Vol. 96, Springer Verlag, New York, 1997, pp. 31-48.

J. Garnier, L. Videau, C. Gouédard et A. Migus, Which optical smoothing for LMJ and NIF ?, Proceedings de la conférence Solid state lasers for applications to ICF 1996, édités par M. André et H.T. Powell, SPIE, Vol. 3047, 1997, pp. 260-271.

L. Videau, A. Boscheron, J. Garnier, C. Gouédard, C. Feral, M. Laurent, J. Paye, C. Sauteret et A. Migus, Recent results of optical smoothing on the Phebus Laser, Proceedings de la conférence Solid state lasers for applications to ICF 1996, édités par M. André et H.T. Powell, SPIE, Vol. 3047, 1997, pp. 757-762.

L. Videau, J. Garnier, C. Feral, C. Gouédard, C. Sauteret et A. Migus, Spectral broadening and nonlinear limitation of partially incoherent pulses in high power amplifiers, Proceedings de la conférence CLEO'97, OSA Technical Digest Series, Vol. 11, 1997, pp. 353-354.

L. Videau, J. Garnier, C. Rouyer et A. Migus, Speckle movement description in case of 1D-SSD and longitudinal-SSD for a temporal sinusoidal phase modulation, Proceedings de la conférence Solid state lasers for applications to ICF 1998, édités par W. Howard Lowdermilk, SPIE, Vol. 3492, pp. 277-284.

F. Kh. Abdullaev et J. Garnier, Modulational instability of electromagnetic waves in randomly perturbed fibers, à paraître dans les proceedings de conférence SCT'99 (Solitons, Collapses and Turbulence, Chernogolovka, Moscow region, Russia, 1999).

F. Kh. Abdullaev, J. Garnier, E. Seve et S. Wabnitz, Modulational instability in optical fibers with polarization mode dispersion, à paraître dans les proceedings de la conférence NLGW'99 (Nonlinear Guided Waves, Dijon, 1999), OSA Technical Digest Series.


Preprints

21. J. Garnier et L. Kallel, Efficiency of local search with multiple local optima, soumis à SIAM Journal on Discrete Mathematics.

22. F. Kh. Abdullaev, J. Garnier, E. Seve et S. Wabnitz, Role of polarization mode dispersion on modulational instability in optical fibers, soumis à Phys. Rev. E.

23. J. Garnier, Instability of a quantum particle induced by a randomly varying spring coefficient, soumis aux proceedings de la conférence Ascona'99.

24. J. Garnier and F. Kh. Abdullaev, Modulational instability induced by randomly varying coefficients for the nonlinear Schrodinger equation, soumis à Physica D.

25. J. Garnier, High-frequency asymptotics for Maxwell equations in anisotropic media. Part I: Linear geometric and diffractive optics, soumis à J. Math. Phys.

26. J. Garnier, High-frequency asymptotics for Maxwell equations in anisotropic media. Part II: Nonlinear propagation and frequency conversion, soumis à J. Math. Phys.


DESCRIPTION DES TRAVAUX ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

INTRODUCTION

Mon domaine d'expertise couvre la propagation d'ondes en milieux complexes et j'ai développé une approche de ce sujet par la théorie des probabilités. Les phénomènes mis en jeu sont particulièrement intéressants car leur analyse requiert des outils mathématiques élaborés et de plus ils donnent lieu à de nombreuses applications prometteuses, notamment pour la communication à haut débit par fibre optique. Les thèmes de recherche que j'ai abordés ont principalement consisté en : la propagation linéaire dans des fibres optiques multi-modes réelles (i.e. avec des défauts modélisés par des processus aléatoires), la propagation non-linéaire dans des fibres mono-modes ou bi-modes (développement d'instabilités modulationnelles et propagation stable de solitons), le lissage optique et la propagation de faisceaux laser partiellement cohérents.

De très nombreux problèmes de propagation d'ondes sont encore ouverts. Les plus pertinents à mon sens sont ceux qui donnent lieu à des applications technologiques prometteuses et nécessitent des mathématiques sophistiquées. Mes projets de recherche portent dans cet esprit d'une part sur des problèmes liés à la propagation de trains d'impulsions courtes dans des fibres optiques pour application à la télécommunication et d'autre part sur des problèmes relatifs à la propagation, l'amplification et la conversion de fréquences de faisceaux lasers partiellement cohérents pour application à la nouvelle génération de lasers de la classe MégaJoule.


CADRE DES TRAVAUX : L'OPTIQUE EN MILIEUX COMPLEXES

L'optique classique repose sur la nature linéaire des équations de propagation, qui signifie que tout champ, même extrêmement complexe, est en réalité la superposition d'ondes planes beaucoup plus simples. Néanmoins des comportements variés sont possibles lorsque la lumière traverse un milieu complexe. Les effets induits sont essentiellement au nombre de deux : la dispersion d'une part et la localisation d'autre part. La dispersion est un phénomène qui peut se manifester dans un milieu homogène ou inhomogène. Elle résulte du fait que la relation de dispersion (qui relie la fréquence temporelle w et le nombre d'onde spatial k) n'est pas linéaire en général hors du vide, ce qui implique que la vitesse de phase w(k)/k n'est pas constante. Comme une solution générale consiste en une superposition de modes avec différents k, les modes vont alors se propager à des vitesses différentes et se disperser. C'est par exemple le cas pour l'équation de Schrödinger linéaire :

i ut + uxx = 0,

dont la relation de dispersion est w(k)=k2. La localisation est elle un phénomène qui se manifeste lors de la propagation dans un milieu aléatoirement inhomogène. Elle exprime le fait que le coefficient de transmission d'une onde décroît de manière exponentielle avec la taille du milieu aléatoire; en particulier, il existe l (k) nombre strictement positif appelé longueur de localisation qui dépend du nombre d'onde k, tel que pour L >> l (k) la transmission est très faible. Ce phénomène fut découvert par Anderson en 1958, et peut être gênant pour de nombreuses applications, par exemple pour des transmissions de signaux à longue distance, mais on peut aussi en tirer parti. En particulier on cherche aujourd'hui à développer des cavités laser aléatoires sans miroir, où la formation de la cavité est assurée par la diffusion multiple dans le milieu désordonné.

Le point commun de tous les phénomènes mentionnés ci-dessus est qu'ils sont décrits par des équations linéaires. En effet, l'amplitude du champ a longtemps semblé jouer un rôle mineur dans les équations de Maxwell. Cependant, il fut bientôt mis en évidence certains phénomènes qui ne pouvaient pas se déduire d'une approche linéaire. Parmi eux le phénomène d'instabilité modulationnelle fut découvert simultanément au début des années 60 dans de nombreux contextes : physique des plasmas, physique des fluides (on l'appelle alors instabilité de Benjamin-Feir), circuits électriques, optique,... Il se caractérise par la croissance exponentielle de modulations d'intensité à des fréquences spécifiques du milieu et de l'intensité moyenne injectée, mais indépendantes de la forme de l'intensité injectée. Enfin, grâce à l'invention du laser (light amplification by stimulated emission of radiation) des intensités locales extrêmement élevées purent être obtenues, car le laser est une source d'une cohérence quasi-parfaite, et peut donc être concentré et focalisé de manière très efficace. L'essor de l'optique non-linéaire suivit alors naturellement. De nombreuses découvertes furent exhibées. En dimension un, la méthode du scattering de Zakharov permit de mettre en évidence dans les années 70 l'existence de solitons qui sont des solutions analytiques et stables de l'équation de Schrödinger non-linéaire :

i ut + uxx + 2 |u|2 u = 0 .

Un soliton est à l'équation de Schrödinger non-linéaire ce qu'une onde monochromatique est à l'équation de Schrödinger linéaire, à savoir un mode normal de propagation. Un soliton réalise un équilibre stable et parfait entre la dispersion linéaire et l'autofocalisation non-linéaire. Il garde par conséquent sa forme et sa vitesse tout au long de sa propagation. Il résulte en particulier de cette qualité que des trains de solitons sont des candidats idéaux pour la transmission à longue distance d'informations binaires par des fibres optiques. Ainsi, l'optique non-linéaire fut d'abord un domaine négligé, puis approché par la force des choses, et se révèle maintenant très riche et intéressant en vue d'applications pratiques.


DESCRIPTION DES RESULTATS OBTENUS

Les résultats que j'ai obtenus apportent une contribution à l'étude des phénomènes aléatoires dans des problèmes de propagation d'ondes. Ces problèmes ont des origines physiques variées qui dépassent largement le cadre de l'optique. On les rencontre notamment en géophysique (ondes sismiques dans l'écorce terrestre), en acoustique sous-marine (ondes sonar dans l'océan), en électromagnétisme (ondes radio dans l'atmosphère), ... Les phénomènes physiques considérés sont différents, mais ils ont tous lieu dans un milieu complexe dont on ne possède qu'une description statistique. D'un point de vue mathématique, on a donc affaire à des équations d'évolution, qui sont intrinsèquement assez simples, mais dont les coefficients sont aléatoires. Il est alors impossible, d'un point de vue analytique ou numérique, de prétendre résoudre de tels systèmes. Un point essentiel de l'étude consiste alors à appréhender les différentes échelles caractéristiques du problème. Certaines considérations, d'origine physique, nous permettent d'avancer des hypothèses sur les ordres de grandeur respectifs des amplitudes et des distances sur lesquelles varient les coefficients qui interviennent. On développe alors une analyse asymptotique basée sur ces hypothèses. On cherche à mettre en évidence la (ou les) bonne asymptotique, c'est-à-dire les rapports d'échelles entre les diverses quantités qui vont conduire, quand on les pousse à la limite, à un régime asymptotique remarquable. On essaie ensuite d'identifier ces régimes asymptotiques. Ainsi le travail se décompose en trois tâches intimement liées. Tout d'abord vient la phase de modélisation, puis des théorèmes limites entrent en jeu. Enfin on tente d'identifier la limite de la manière la plus simple possible, souvent à travers des lois de processus de diffusion.

Méthodologie
Pour notre part nous avons étudié des problèmes liés à l'optique, et notamment des problèmes de propagation dans des fibres optiques linéaires ou non-linéaires. Les deux premiers points développés ci-dessous sont consacrés à des problèmes linéaires, et les points 3 et 4 à des problèmes non-linéaires. Le cinquième point, qui traite aussi de phénomènes aléatoires et non-linéaires en optique, représente une grosse part du travail que j'ai effectué ces dernières années, car la modélisation des problèmes et les applications des résultats ont nécessité au moins autant de travail que la résolution des questions mathématiques elles-mêmes. De manière générale, j'ai passé beaucoup de temps à développer des collaborations avec des physiciens, à la fois en optique des fibres optiques (avec F. Kh. Abdullaev de l'Institut de Physique de Tashkent, E. Seve et S. Wabnitz de l'Université de Dijon, et des ingénieurs d'Alcatel-Marcoussis) et en optique des lasers de puissance (L. Videau, C. Gouédard et C. Rouyer du CEA, et C. Sauteret et A. Migus du Laboratoire pour l'Utilisation des Lasers Intenses à l'Ecole Polytechnique). La mise au point d'un langage commun, la bonne compréhension des problèmes physiquement intéressants, sont à mon sens des points cruciaux du point de vue des mathématiques appliquées. Faute de quoi les mathématiques que je développe resteront au stade de l'applicable, et ne passeront jamais au stade de l'appliqué. De plus, comme je tiens à voir mes résultats effectivement appliqués, je suis obligé de rédiger une version claire des résultats qui soit exploitable par les physiciens. C'est pourquoi j'ai publié certains de mes travaux dans des revues d'optique et non de mathématiques. Mais ceci n'enlève rien à la rigueur des démonstrations des résultats. Preuve en est : après avoir dépensé beaucoup d'énergie à essayer d'expliquer une observation expérimentale ``anormale'' en essayant de les analyser avec les équations de propagation qu'on peut trouver dans les livres d'optique classique, j'ai été obligé de revoir la dérivation de l'équation de Schrödinger à partir de l'équation de Maxwell dans les cristaux, pour m'apercevoir que des termes avaient été négligés, qui conduisent à une forme généralement anisotrope de l'opérateur de diffraction (au lieu du Laplacien transverse habituel). La première vérification expérimentale sur des cristaux de KDP ( KH2PO4 dihydrogénate de potassium) vient juste d'avoir lieu, et les conséquences théoriques et pratiques de ce résultat risquent de m'occuper encore quelque temps.

1) Propagation linéaire dans des fibres optiques multi-modes
Nous avons démontré des théorèmes originaux d'approximation-diffusion à plusieurs échelles pour les appliquer ensuite à des problèmes de propagation d'ondes en milieux aléatoires : transmission de modes optiques à travers un guide d'ondes plan aléatoire [4,17]; propagation d'une onde dans une fibre optique à variation d'indice quadratique. Nous avons considéré différents modèles de perturbations (défauts d'indice, d'alignement, de courbure,...) et nous avons étudié la situation asymptotique naturelle en optique où les fluctuations des paramètres sont petites mais la distance de propagation est longue. Des expressions précises pour l'onde en sortie du guide ont été calculées. Elles montrent que des comportements très variés peuvent se produire, comme des translations, des étalements ou même des focalisations.

2) Etude de l'oscillateur harmonique quantique soumis à des forces aléatoires
Il est apparu que le problème de la propagation dans des fibres à variation d'indice quadratique se formulait de manière identique à celui de l'oscillateur harmonique quantique, à ceci près que la coordonnée spatiale selon l'axe de propagation dans la fibre est remplacée par le temps dans le cas de l'oscillateur harmonique. Nous nous sommes alors penché sur ce dernier problème, pour s'apercevoir après quelques discussions avec les physiciens que les questions physiquement pertinentes étaient très différentes dans les deux problèmes. Nous avons donc dû revoir de manière profonde notre travail avant d'être en mesure de fournir des résultats intéressants [9,16,23]. La question que nous avons traitée est la suivante. Nous avons considéré l'évolution d'une particule dans un oscillateur harmonique plongé dans un champ de forces dérivant d'un potentiel aléatoire ergodique en temps. Ce potentiel est petit mais les échelles de temps sur lesquelles les mesures de l'énergie de la particule sont effectuées sont longues. Nous avons pu étudier le régime asymptotique correspondant, pour lequel il est possible de calculer des équations d'évolution effectives. Nous avons trouvé en particulier un système fermé gouvernant les probabilités de transition, qui peut être interprété en termes d'un processus markovien de sauts. Grâce à cette interprétation on a alors pu calculer explicitement la distribution d'énergie de la particule.

3) Transmission de solitons à travers un milieu aléatoire
Ce volet constitue une contribution à la lignée des travaux qui étudient la compétition entre les effets aléatoires et non-linéaires dans les phénomènes de propagation d'ondes. Il est connu que, d'une part, dans un milieu linéaire uni-dimensionnel aléatoire, la localisation d'Anderson intervient, ce qui signifie en particulier que l'intensité transmise décroît de manière exponentielle avec la taille du milieu. D'autre part, en l'absence d'inhomogénéités, certains systèmes non-linéaires laissent se propager des paquets d'ondes isolés (appelés solitons) sans déformation et à vitesse constante. Nous avons étudié la propagation de solitons à travers des systèmes non-linéaires aléatoirement perturbés [7,15]. Nous avons considéré l'équation de Schrödinger non-linéaire uni-dimensionnelle, qui modélise la propagation d'impulsions solitons à travers des milieux non-linéaires du type fibre optique. Des inhomogénéités viennent perturber légèrement le potentiel, le coefficient de dispersion de vitesse de groupe et le coefficient non-linéaire. Nous avons recherché l'effet de ces petites perturbations après une importante longueur de transmission, en développant une méthode de perturbations stochastiques autour de la transformation d'inverse scattering. Il apparaît plusieurs régimes asymptotiques possibles, lorsqu'on fait tendre à la fois l'amplitude des fluctuations aléatoires vers zéro et la taille de la couche considérée vers l'infini. Le soliton peut voir sa masse diminuer de manière exponentielle (en fonction de la taille du milieu traversé), ou encore selon une loi en puissance; il peut même conserver sa masse quasi-indéfiniment si celle-ci est suffisamment importante initialement, les perturbations n'affectant alors que sa vitesse.

4) Instabilité modulationnelle dans les fibres optiques non-linéaires à coefficients variables
Nous avons considéré un autre problème lié à la propagation non-linéaire dans des fibres optiques. Il est connu que l'action conjuguée d'une non-linéarité de type Kerr et de la dispersion chromatique peut provoquer le développement d'une instabilité modulationnelle, qui conduit à la croissance exponentielle de modulations d'amplitude sur des ondes initialement quasi-continues. Ce phénomène est en fait un des principaux facteurs qui limitent le taux de transfert dans la transmission par fibres optiques à haut débit, car il est d'autant plus important que l'impulsion est courte. L'instabilité modulationnelle a été étudiée dans le cadre de l'équation de Schrödinger non-linéaire homogène, qui décrit la propagation d'impulsions courtes dans des fibres optiques parfaitement homogènes. Mais les fibres réelles présentent des fluctuations aléatoires de leurs paramètres. Nous avons donc considéré une équation de Schrödinger non-linéaire [24] (ou un système d'équations de ce type couplées [14]) à coefficients variables et nous avons calculé les exposants de Lyapunov qui caractérisent les gains de ces instabilités.

5) Propagation de faisceaux lasers partiellement cohérents
Cette partie est le fruit d'une collaboration avec le centre de Limeil-Valenton du CEA et le laboratoire pour l'Utilistion des Lasers Intenses de l'Ecole Polytechnique au sein de l'activité du GdR "Propagation d'Ondes en milieux Aléatoires et / ou Non-linéaires", maintenant appelé ``PRopagation et Imagerie en Milieu Aléatoire''. La situation reliée à la recherche sur la fusion par confinement inertiel est la suivante. En irradiant de toutes parts pendant une durée de quelques nanosecondes une capsule sphérique contenant un mélange de deutérium et de tritium à l'aide d'une multitude de faisceaux laser de puissance, on pense comprimer la sphère suffisamment pour qu'un point chaud s'y développe et déclenche une réaction de fusion. Cette méthode requiert une irradiation parfaitement uniforme, faute de quoi la sphère se brise au lieu d'imploser. Or de petites aberrations, inévitables dans les chaînes d'amplification, impriment une légère distorsion du profil spatial des faisceaux, et rendent a priori inaccessibles les critères drastiques d'uniformité de l'irradiation. Le lissage optique tente d'apporter une solution à ce problème. Au lieu de chercher à supprimer les distorsions, on va en rajouter, en imposant par exemple des lames de phase aléatoires pour briser la cohérence spatiale, et des modulateurs de phase aléatoires pour briser la cohérence temporelle. Ainsi, la cible va voir un profil spatial très perturbé, mais fluctuant de manière très rapide, avec un temps caractéristique de l'ordre de la picoseconde. Comme le temps de réponse du plasma est plus long, celui-ci va intégrer les profils spatiaux qui, par un effet de type loi des grands nombres, vont tendre vers un profil moyen plat. Ainsi, si le profil spatial instantané est perturbé, le profil spatial intégré temporellement est très lisse. Notre contribution est double. D'une part nous avons caractérisé de manière précise la statistique et la dynamique des profils spatiaux générés par les différentes méthodes de lissage envisagées [5,11,12,13]. D'autre part, selon la méthode de lissage retenue, on propage dans la chaîne laser un faisceau présentant des caractéristiques de cohérences spatiale et/ou temporelle partielles. Nous avons donc étudié l'impact de ces caractéristiques aux différents étages de propagation linéaire [19] et non-linéaire [6], d'amplification [8] et de conversion de fréquence.

6) Etude de la convergence d'algorithmes génétiques
Ces travaux se situent à la marge des autres résultats obtenus. Il s'agit en fait d'un concours de circonstances qui a abouti au fait que mon bureau était encadré par ceux de Marc Schoenauer et Leila Kallel, deux ``généticiens'' (au sens informatique) dont le travail consiste à résoudre des problèmes très complexes à l'aide d'algorithmes évolutionnaires stochastiques. Après de nombreux mois où des discussions informelles sur nos travaux respectifs allaient croissants, nous avons finalement convenu qu'une collaboration entre nous pouvaient conduire à des résultats intéressants la communauté des généticiens. Nous avons développé une approche probabiliste pour calculer le temps de convergence de certains algorithmes évolutionnaires. Pour simplifier, les algorithmes évolutionnaires ont pour but de trouver les maxima locaux, et en particulier le maximum global, d'une fonction f: E -> F dont on ne connaît pas les propriétés de régularité ou de convexité. On sait seulement calculer ou estimer la valeur de la fonction en tout point. La méthode qui consiste à calculer la valeur de la fonction en tous les points de l'espace E marche à tout coup pour trouver le maximum, mais est en pratique beaucoup trop longue. Les algorithmes évolutionnaires se présentent comme une alternative à cette méthode exhaustive. Le mécanisme consiste à faire évoluer une ``population'' (ensemble de points (xi)i=1,...,n de E appelés ``individus'') par transformations aléatoires de ces éléments (mutation et croisement) et sélection des individus selon leur performance f(xi). Le problème intéressant est de comparer les différents opérateurs de mutation, croisement et sélection pour déterminer lesquels sont les plus efficaces sur un type donné de problèmes. Pour les problèmes binaires E = {0,1}l que nous avons regardés, la population (xi)i=1,..,n est modélisée comme une chaîne de Markov sur l'espace d'états En. Nous avons étudié l'asymptotique l >> 1 dans le sens où nous avons recherché un développement en l de l'espérance, de la variance voire de la distribution complète du premier temps d'atteinte du maximum global [10,18,21].


TRAVAUX EN COURS ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

J'envisage de poursuivre mes recherches en particulier sur les points suivants.

1) Solitons en milieux aléatoires
Dans le domaine de l'interaction des phénomènes aléatoires et non-linéaires, il serait maintenant très intéressant de considérer d'autres systèmes complètement intégrables que l'équation de Schrödinger Non-Linéaire scalaire, pour lesquels il existe aussi une transformation d'inverse scattering associée, ce qui démontre en particulier l'existence de solitons. Parmi ces systèmes, citons l'équation de Korteweg-de Vries, qui possède une dispersion du troisième ordre, et le système de Manakov qui comprend deux équations de Schrödinger Non-Linéaires couplées. Ce dernier système intéresse directement les opticiens, car il modélise la propagation du champ dans une fibre biréfringente.
D'autre part, l'interaction de solitons en milieu aléatoire est un sujet intéressant fortement les opticiens car ce problème se pose lors de la propagation de trains de solitons dans des fibres optiques et n'a pour l'instant été considérée qu'en milieu homogène. Enfin, l'étude de systèmes discrétisés (c'est-à-dire où la variable transverse vit sur un réseau et le terme de dispersion est remplacé par exemple par un Laplacien discret est un sujet physiquement pertinent, car il décrit de nombreux systèmes physiquement pertinents (réseau de fibres optiques couplées, circuits électriques, piégeage électronique dans certains cristaux, etc...) et mathématiquement intéressants. En effet certaines versions discrétisées de l'équation de Schrödinger Non-Linéaire sont complètement intégrables, et d'autres pas, ce qui laisse présager la possibilité d'étudier la propagation et la stabilité de solutions de type solitons dans de tels systèmes.

2) Instabilité modulationnelle pour l'équation de Schrödinger vectorielle
Dans le cadre de l'étude de la croissance d'instabilités modulationnelles dans des fibres optiques, on ne peut pas se contenter d'une équation scalaire pour modéliser la propagation du champ car on néglige alors tous les effets de polarisation. L'évolution des deux composantes d'un champ dans une fibre biréfringente est gouvernée par un système de deux équations de Schrödinger Non-Linéaires couplées. Par rapport au cas scalaire, au moins deux nouvelles sources potentielles d'aléa apparaissent : la différence de vitesses de groupe entre les deux modes (polarisations) et le coefficient de couplage non-linéaire entre les modes [22]. Les techniques utilisées sont essentiellement les mêmes que dans le cas scalaire, mais la difficulté nouvelle principale réside dans la maîtrise de l'évolution simulatanée du module des deux modes et de leur angle relatif (déphasage). Il reste ensuite tout un travail d'optimisation à effectuer avec des expérimentateurs en vue de déterminer les configurations les moins sensibles aux perturbations.

3) Etude des solitons à gestion de dispersion
Un des buts de l'optique moderne est la conception de systèmes pour la transmission d'information à haut débit. Les systèmes à fibres optiques à gestion de dispersion sont aujourd'hui étudiés pour leurs performances remarquables comme lignes de communication. Leur principe repose sur une variation périodique du coefficient de dispersion de la fibre, de telle sorte que la dispersion moyenne est nulle sur une période. Si les systèmes étaient complètement linéaires il serait possible de construire une ligne idéale transmettant des trains d'impulsions sur des distances arbitrairement longues, avec une déformation moyenne nulle. En réalité, on ne peut négliger ni les aberrations de la ligne sur des distances de propagation de plusieurs milliers de kilomètres, ni les effets non-linéaires qui s'accumulent et interagissent de manière complexe. Il ressort alors que l'étude de la transmission d'impulsions en milieu non-linéaire et aléatoire est le problème clé qui limite aujourd'hui le débit des fibres optiques. Les démarches expérimentales ou numériques utilisées actuellement ne permettent pas d'explorer toutes les possibilités, et une approche plus théorique s'avère nécessaire pour l'élaboration de configurations performantes, voire même optimales. Notre but est de déterminer les bons modèles, de les analyser mathématiquement et d'optimiser numériquement leurs caractéristiques.

4) Conversion de fréquences de faisceaux lasers partiellement cohérents
La dérivation des équations de propagation non-linéaire dans les milieux anisotropes [25-26] permet maintenant une étude précise de la conversion de fréquence de faisceaux à spectre large partiellement cohérents. Dans le même domaine, et toujours en collaboration avec des laseristes du CEA, j'étudie maintenant l'effet ``cascade'' en vue de générer des impulsions présentant des caractéristiques contrôlées de cohérences partielles dans les domaines temporel et spatial, avec le grand avantage de n'engendrer que des modulations de phase de l'impulsion, et pas de modulation d'amplitude qui sont critiques en termes de rendement d'amplification et de conversion de fréquence. Le principe est le suivant (proposé par L. Videau). La technique repose sur le mélange d'une onde signal monochromatique de faible énergie avec une onde pompe incohérente de forte énergie dans un cristal non-linéaire. Dans cette configuration le cristal est placé loin des conditions d'accord de phase, de telle façon que le rendement de conversion de fréquence est très petit. Par contre, les modulations d'intensité de l'onde pompe peuvent être transférées sous la forme de modulations de phase sur l'onde signal. On peut tirer de cette technique le principe d'un générateur de phase tout optique massif à haute fréquence. Mais pour en appréhender le fonctionnement, il faut correctement prendre en compte les différences de vitesses de groupe et les dispersions des vitesses de groupe dans le domaine temporel, et la dispersion angulaire et la diffraction dans le domaine spatial [20].

5) Modélisation de la croissance Laplacienne de dendrites
Avec H. Ammari et E. Bonnetier a été mis en place un séminaire intitulé ``Propagation d'Ondes dans les Matériaux Complexes'' au Centre de Mathématiques Appliquées (CMAP). L'étude mathématique ainsi que la modélisation de ces sujets font partie des thèmes de recherche de nombreux chercheurs au CMAP. En particulier, nos domaines d'expertise couvrent la propagation d'ondes en milieux complexes, l'étude des milieux composites, et la mise au point de codes de calcul numérique pour les modèles correspondants. Sur ces sujets, les membres du laboratoire ont acquis une compétence reconnue sur le plan international. Nous sommes convaincu que notre savoir-faire peut être d'un grand interêt dans d'autres disciplines, s'il est appliqué à des problèmes pertinents. En organisant ce séminaire, nous espérons interagir avec des chercheurs d'autres disciplines, en particulier avec ceux de l'Ecole Polytechnique et du plateau d'Orsay. Comme premier produit de ce séminaire une collaboration active a été engagée avec J.-F. Gouyet (Laboratoire de Physique de la Matière Condensée, Ecole Polytechnique) sur la cinétique des structures cristallines hors d'équillibre. Il s'agit d'un aspect particulier du problème beaucoup plus général de l'évolution des interfaces dans des systèmes multi-phasiques. Nous nous intéressons en ce moment à la croissance dendritique pour laquelle des aiguilles se développent à partir d'une surface cristalline initialement quasi-plane. Nous modélisons ce phénomène à l'aide de processus de branchement et de diffusion en compétition.